Ministre du budget cherche désespérément recettes fiscales supplémentaires, afin de réduire le déficit budgétaire et de contenir la dette publique. Cette équation plane en permanence sur l’examen du budget qui a débuté lundi 21 octobre à l’Assemblée nationale. Le projet de budget prévoit notamment une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et une contribution exceptionnelle des grandes entreprises, mais aussi une contribution spécifique temporaire imposée au plus gros armateur français, le groupe CMA CGM.
Une «taxe CMA CGM»
En revanche, le gouvernement n’a pas prévu de remettre en cause un avantage fiscal dont bénéficient les armateurs français depuis 2003. Un dispositif appelé la «taxe au tonnage» leur permet d’appliquer un calcul particulier à leur impôt sur les bénéfices. A la différence des autres entreprises, les 63 opérateurs français de fret maritime paient leur contribution à partir du nombre de tonnes qu’ils transportent sur leurs navires et non sur le prix facturé à leurs clients. Le mécanisme présente un réel avantage car le prix de la tonne transportée varie en fonction de la demande du marché et de la distance parcourue. Ainsi, au plus fort de la crise sanitaire, quand la demande était forte et l’offre de bateaux disponibles rare entre l’Asie et l’Europe, le prix du conteneur transporté a quadruplé, passant de 3 000 à 12 000 dollars.
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Le projet de budget pour 2025 ne reviendra pas sur cet avantage difficile à chiffrer. Libération a vainement tenté d’obtenir des réponses à cette question auprès du ministère du Budget. Le syndicat professionnel Armateurs de France estime, lui, le «coût fiscal» de ce dispositif à moins de 50 millions par an en moyenne sur la période 2010-2020, sans chiffre plus récent ni explication sur sa méthode de calcul, malgré nos demandes réitérées. La solution imaginée par le gouvernement afin de faire contribuer ce secteur à «l’effort de redressement des comptes publics» passe par une taxe exceptionnelle qui durera deux ans. Elle consiste en un prélèvement de 9 % sur le bénéfice avant impôt des armateurs dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros. En clair la mesure concerne en tout et pour tout un seul opérateur : le groupe CMA CGM, qui devra s’acquitter d’un impôt supplémentaire évalué par l’Etat à 500 millions d’euros la première année et 300 millions la seconde année. Au point qu’on parle désormais de «la taxe CMA CGM».
«Esprit patriotique»
Sauf qu’en commission des finances vendredi 18 octobre, la gauche comme le RN ont voté un doublement de cette contrition exceptionnelle pour la porter à un milliard d’euros en 2025, en faisant valoir que le résultat cumulé de l’armateur entre 2021 et 2023 a atteint 42 milliards d’euros, porté par la hausse des tarifs du fret pendant le Covid. En revanche, malgré des débats agités, la commission n’a pas voté la suppression ni même le rabotage de la taxe au tonnage. Argument de ses défenseurs : elle est déjà quasi généralisée en Europe et même au plan mondial.
En tout, cas, la contribution initialement demandée a visiblement fait l’objet d’un compromis entre l’armateur et le gouvernement. Dans un entretien au Figaro lundi 21 octobre, le PDG de CMA CGM, Rodolphe Saadé, s’est dit prêt à faire «sa part de l’effort collectif pour redresser les finances publiques» qu‘il accomplira «par esprit patriotique». En revanche, il met en garde contre tout amendement qui remettrait en cause le mécanisme de la taxe au tonnage tel qu’il existe aujourd’hui et, à mot couvert, rappelle qu’il pourrait délocaliser. Les armateurs français qui opèrent depuis la France et avec un drapeau français sur leurs porte-conteneurs mettent en avant la concurrence dans leur activité et le fait que cet avantage fiscal existe dans la plupart des Etats de l’Union européenne. En outre, ils peuvent depuis longtemps jouer sur une spécificité de leur métier pour délocaliser une partie de leur business. Il leur suffit de changer le pavillon sous lequel opèrent leurs navires. Nombre d’Etats offrent aujourd’hui des «pavillons de complaisance», c’est-à-dire une immatriculation des navires sur des territoires où il y a peu d’impôts et encore moins de charges sociales pour les marins a bord. Le transport maritime mondial n’a pas attendu l’ubérisation de l’économie, il l’a précédée.