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Récit

Budget 2025 : la gauche obtient la pérennisation de la contribution sur les hauts revenus, le gouvernement patine

Gouvernement Bayroudossier
L’impôt exceptionnel prévu pour une durée de trois ans a été modifié et élargi au cours de discussions budgétaires acharnées mardi 22 octobre dans la soirée. Un éventuel 49.3 de Michel Barnier pourrait toutefois faire voler cette mesure en éclat.
Des députés de gauche à l'Assemblée nationale, le 22 octobre 2024. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 23 octobre 2024 à 7h33

Première victoire, premières jubilations. Les députés de gauche ont engrangé un succès lors de l’examen du budget, mardi 22 octobre au soir dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, avec l’adoption, contre l’avis du gouvernement, d’un amendement visant à pérenniser la contribution sur les hauts revenus. La mesure prévoit de taxer les ménages dont le revenu dépasse 250 000 euros pour une personne seule et 500 000 euros pour un couple, déjà soumis à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), instaurée en 2011 par François Fillon.

Initialement prévue pour 2024, 2025 et 2026, cet effort de justice fiscale, que Michel Barnier voulait «temporaire et exceptionnel», a été rendu durable par les élus du Nouveau Front populaire et des alliés. Déjà adopté en commission des finances, l’amendement de pérennisation a trouvé une majorité en séance pour être approuvée. «Comme prévu, le débat en séance sur le budget commence pareillement que dans ma commission avec deux mesures adoptées, le renforcement et la pérennisation de la taxe sur les hauts revenus», s’est réjoui, dans la nuit sur X, le président insoumis de la commission des finances, Eric Coquerel.

Dans le détail, le NFP a pu compter sur des voix du bloc central (et sur l’absence d’un paquet de députés du «socle commun» gouvernemental) pour faire passer son amendement : 7 députés Modem, 2 Liot, 1 LR et un EPR ont voté pour. Les troupes du Rassemblement national, elles, se sont largement abstenues. A la tribune, le député RN Jean-Philippe Tanguy a tenté de proposer un «compromis», en fixant 2028 comme date limite pour la contribution, ou, autre piste, jusqu’au retour du déficit à 4 %. Sans succès. Comme en commission, la droite et les macronistes se sont majoritairement opposés à cette pérennisation. «Vous êtes en train de transformer une partie de la population en cible», a décoché Eric Woerth (EPR) aux députés NFP.

Au banc des ministres, durant toute la soirée, le gouvernement a tenté de défendre le caractère provisoire de cette taxe. «C’est une mesure juste et temporaire, a argué Laurent Saint-Martin, le ministre du Budget et des Comptes publics. Sinon on risque de s’habituer à la recette fiscale.» En somme, le texte du gouvernement, rien que le texte du gouvernement. «Vous prévoyez une taxe limitée dans le temps pour 24 000 contribuables alors que ce n’est pas le cas de la taxe sur l’énergie qui va rapporter 6 milliards d’impôts et sera payée par tous les contribuables», a protesté Danielle Simonet (NFP).

«Les super riches paient des super impôts»

«Si on pérennise, il ne faut plus appeler cette contribution ‘‘exceptionnelle’’ mais ‘‘permanente’’», relève le rapporteur du projet de loi de finances, Charles de Courson. Réponse d’Eric Woerth : «Faisons une évaluation au bout de trois ans et nous verrons s’il faut pérenniser. Dans ce débat, Il ne faudrait pas que parce que l’on cible certains contribuables, ils deviennent des cibles. Les super riches paient des super impôts «Les deux seules mesures que vous proposez comme ‘‘temporaires’’ dans ce budget sont celle sur les super riches et celle sur les entreprises. C’est insupportable», reprend de volée Eric Coquerel. A 23 h 55, quand arrive l’heure du vote, les partisans de la pérennité de cet impôt l’emportent.

A gauche de l’hémicycle, on considère que cette contribution exceptionnelle est insuffisante car elle est calculée à partir du revenu fiscal de référence (RFR) qu’elle juge «facilement contournable». «Aujourd’hui les ultra-riches échappent à l’impôt via des holdings personnelles ou encore des mécanismes de démembrement [de leur patrimoine]», tonne le communiste Nicolas Sansu, avant de conclure : «S’il y a des manifestations de gens qui ont plus de 50 millions d’euros de revenus, ça ne fera pas beaucoup de monde dans les rues, que ce soit selon la police ou la CGT.» Plusieurs amendements de la gauche réclamant une taxation du patrimoine – ce qui reviendrait à rétablir l’ISF – sont en revanche rejetés. «Cet impôt supplémentaire aurait l’effet d’une double lame. Il y a déjà l’impôt sur la fortune immobilière», répond, impavide, le ministre du Budget.

Ce qui ne satisfait guère le président de la commission des finances, Eric Coquerel : «Réduire des inégalités trop fortes fait partie du pacte républicain.» Et d’appuyer son propos par un exemple : «Il y a deux lectures de ce budget. La première : recettes et dépenses. La deuxième : qui paie le plus. Or la taxe sur les énergies représente trois fois ce que paient les ultra-riches.» Assis sur le même banc que le rapporteur du budget, Charles de Courson, il semble partager les rôles avec son collègue. A l’insoumis les punchlines politiques. Au centriste les sorties ciselées sur chaque nuance fiscale du projet de loi de finances. Chez les macronistes et sur leur aile droite, des amendements visent à réduire la portée de cet impôt exceptionnel en tentant d’exclure les revenus tirés des brevets ou encore le versement au capital de PME. Initiatives tout aussi sèchement rejetées.

La gauche a aussi obtenu l’appui d’une partie du centre ou de la droite pour faire rejeter une série d’amendements gouvernementaux visant à maintenir des abattements sur les revenus touchés par cette contribution minimale de 20 % : avantages fiscaux des impatriés pendant cinq ans, taxation réduite (10 %) pour les ventes de brevets, abattement sur les ventes d’actions lié à la durée de détention, étalement sur quatre ans pour des revenus exceptionnels… Autant de déductions qui seront écartées pour cette taxe, si le texte reste en l’état. Car si le gouvernement utilise l’article 49.3, il pourra choisir les amendements retenus.

Les ténors en retard

L’examen de cet article 3 du budget, pourtant très sensible n’a mobilisé que tardivement les grosses pointures du Palais-Bourbon. Gérald Darmanin se pointe dans l’hémicycle aux alentours de 22 h 30 et Gabriel Attal débarque juste avant 23 heures, taillant une bavette avec le socialiste Boris Vallaud avant de rejoindre son siège. L’ancien ministre de l’Intérieur se paie le luxe d’une passe d’armes avec le rapporteur du budget, Charles de Courson : «M. Le rapporteur général, ne m’envoyez pas balader d’un revers de main. Il va falloir vous habituer, vous avez un poste à responsabilité. J’ai la même édition du code général des impôts que vous.»

A l’issue de la séance, ragaillardi par la pérennisation de la contribution sur les hauts revenus, le président de la commission des finances, Eric Coquerel, se laissait même aller à quelques pronostics : «Vous verrez que nous obtiendrons, ce mercredi, le vote de la taxe universelle sur les entreprises.»