Echecs sur les dossiers majeurs de la pêche et de l’agriculture, sauvetage en demi-teinte du commerce en ligne… L’ultime réunion ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce vendredi plonge l’organisation dans l’inconnu. «Malgré tous nos efforts, nous ne sommes pas parvenus à nous mettre d’accord sur certains textes qui revêtent une grande importance pour bon nombre de nos membres», a reconnu le ministre d’Etat émirati au Commerce extérieur, Thani al-Zeyoudi, qui a présidé cette semaine à Abou Dhabi la 13e Conférence ministérielle de l’OMC. «Je terminerai par une citation que j’attribue à Winston Churchill, qui a dit, et je cite : “Le succès n’est pas définitif. L’échec n’est pas fatal. C’est le courage de continuer qui compte“», a déclaré pour sa part la directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala.
«L’agriculture est une fois de plus le sujet qui fait ou défait une conférence ministérielle», avait prévenu le commissaire européen à l’Agriculture, Janusz Wojciechowski, sur le réseau X (ex-Twitter). Et après cinq jours de discussions, les discussions sur l’agriculture et sur les subventions à la pêche favorisant la surpêche et la surcapacité ont malgré tout fait chou blanc.
«Positions radicales»
Les négociations agricoles ont notamment buté sur les revendications agricoles de l’Inde, acteur incontournable des négociations à chaque conférence. Sur la pêche, les pays ne sont notamment pas parvenus à se mettre d’accord sur la période de transition accordée aux pays en développement concernant la surpêche, les pays estimant que l’Inde demandait un trop grand nombre d’années.
«Plusieurs Etats ont exprimé des positions radicales en faveur de leurs seuls intérêts et n’ont pas permis d’avancer vers un compromis satisfaisant», a réagi le ministre français de la Transition écologique, Christophe Béchu, dans un communiqué.
L’Inde a en revanche accepté in extremis de ne pas apposer son veto à la prolongation des droits de douane sur les transmissions électroniques, mais pour deux ans au maximum, jusqu’à la prochaine réunion de l’OMC en 2026. Le ministre du Commerce indien, Piyush Goyal, a expliqué que son pays avait décidé de lever son objection «par respect» pour le ministre émirati Al-Zeyoudi, le qualifiant de «bon ami». Ngozi Okonjo-Iweala, la directrice générale nigériane de l’OMC a d’ailleurs affirmé voir «le verre à moitié plein», citant notamment l’accession à l’OMC des Comores et du Timor-Oriental ou encore la finalisation, en marge de la rencontre, d’un accord sur les services.
«Peut-être que l’OMC avait besoin d’une bonne crise»
«Nous sommes exaspérés par le résultat, a fustigé Anna Holl-Buhl, responsable mondiale de l’ONG WWF pour les négociations sur les subventions à la pêche à l’OMC. Cela aurait dû être le moment où le monde prend conscience du fait que, si nous poursuivons cette course insensée pour attraper le dernier poisson, il n’y aura pas de gagnants. Nous serons tous perdants.» Et d’ajouter : «Il s’agit d’une énorme occasion manquée de mettre fin aux subventions néfastes à la surpêche qui menacent la santé et le bien-être de milliards de personnes dans le monde, qui dépendent de la pêche pour leur alimentation et leurs moyens de subsistance.»
«Si l’on peut parler de crise, c’est que le consensus, qui a été le ciment de cette organisation, est devenu la boue dans laquelle elle s’enlise», a réagi Richard Ouellet, de l’université Laval au Canada, présent à Abou Dhabi. Pour John Denton, secrétaire général de la Chambre de commerce internationale, «la faiblesse inattendue du paquet global de résultats devrait cependant servir de signal d’alarme».
«Peut-être que l’OMC avait besoin d’une bonne crise et peut-être que celle-ci nous fera prendre conscience que nous ne pouvons pas continuer ainsi», a de son côté affirmé une haute responsable européenne, qui craint que le commerce soit «de plus en plus caractérisé par des relations de pouvoir». «Même si le commerce électronique est sauvé, on peut parler de crise à l’OMC», a renchéri une source proche des discussions.
Les résultats de la conférence ministérielle ont effectivement mis en évidence les profondes divisions entre les 164 membres de l’OMC, «dans un contexte international marqué par une incertitude plus grande que jamais», a relevé Okonjo-Iweala, pointant du doigt les tensions géopolitiques, les inquiétudes économiques et les élections dans de nombreux pays. Les accords sont aussi difficiles à trouver car les décisions sont prises par consensus. «La beauté de l’OMC réside dans le fait que chaque membre dispose d’une voix égale, mais cela a aussi un coût», a souligné la directrice générale de l’OMC.
La peur du retour de Donald Trump
L’OMC est déjà déstabilisée depuis fin 2019 par la paralysie du mécanisme qui permet de régler les différends entre ses membres, bloqué par les Etats-Unis. Les pays ont réaffirmé à Abou Dhabi leur objectif de parvenir à rétablir le système cette année.
Pourtant, comme à chaque conférence, la pression était forte pour que l’OMC affiche des résultats. Cette année, les attentes étaient particulièrement élevées face au possible retour à la Maison Blanche de Donald Trump, qui a tout fait pour torpiller l’organisation durant son premier mandat.
La précédente réunion en 2022 à Genève s’était achevée par un certain succès, avec des accords sur l’interdiction des subventions à la pêche illégale et sur les brevets des vaccins anti-Covid. Un «miracle» qu’Okonjo-Iweala avait appelé à reproduire. Alors que son mandat s’achève l’an prochain, reste à savoir si elle sera encore présente à la prochaine réunion ministérielle qui doit se tenir au Cameroun à une date encore indéterminée.