Les menus à base de boîtes de conserve, de steaks hachés insipides et de poissons panés surgelés seront-ils bientôt un lointain souvenir dans les cantines scolaires ? Signe des temps, la semaine dernière, huit mairies dont celles de Paris et Lyon ont banni le thon de leur menu par principe de précaution après la publication en octobre 2024 d’un rapport alertant sur le taux de mercure présent dans les boîtes de thon par l’ONG Bloom.
La qualité de la nourriture servie dans les écoles, collèges et lycées, n’est désormais plus le simple apanage de parents inquiets de la santé de leurs enfants. La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim, de 2020, complétée par la loi Climat et résilience de 2021, est venue fixer des objectifs en la matière. Depuis janvier 2022, les menus doivent comporter au moins 50 % de «produits durables et de qualité», dont au moins 20 % de bio et un repas végétarien par semaine. Des objectifs complétés en janvier 2024 avec un passage à 60 % de produits durables et de qualité pour les viandes et les poissons.
Retard à l’allumage
Voilà pour le principe. Dans les assiettes en revanche, presque cinq ans plus tard, le compte n’y est toujours pas. Malgré l’obligation inscrite dans la loi de rendre compte au Parlement du respect de ces objectifs, les données sont plus que parcellaires. Sur «ma-cantine», le site officiel dédié, seuls 35 % des services de restauration dans les établissements scolaires ont renseigné la part des approvisionnements de qualité et bio dans le cadre de la campagne de remontée de données 2025 pour 2024 (contre 39 % pour l’ensemble de la restauration collective). Et parmi eux, à peine 26 % des cantines dans l’enseignement, tous niveaux confondus, ont atteint les objectifs de la loi Egalim.
Un manque de statistiques fiables et un très net retard à l’allumage pointé par une commission d’enquête sénatoriale dans un rapport sur la commande publique présenté le 9 juillet. «Depuis l’adoption de la loi Egalim, les gouvernements se sont dit que ça allait se faire tout seul», déplore Simon Uzenat, sénateur socialiste du Morbihan et président de la commission. Faute d’accompagnement par l’Etat, la mise en œuvre de ce nouveau cadre juridique est jugée «embryonnaire», par les élus de la Chambre haute. En particulier dans les petites communes.
«Le développement de la loi Egalim s’est fait dans une période contrainte budgétairement avec beaucoup de difficultés et nous n’avons pas de soutien de l’Etat», abonde Gilles Pérole, le coprésident du groupe de travail «restauration scolaire» à l’Association des maires de France (AMF). Résultat, selon une étude menée en 2024 par l’AMF, seules 18 % des communes étaient dans les clous – les cantines des écoles primaires dépendent des municipalités.
La faute, à en croire l’étude de 2024 de l’AMF, à des difficultés logistiques, à l’insuffisance de diversité ou de quantité dans l’offre des produits durables, et surtout à l’impact financier de cette nouvelle réglementation. L’approvisionnement en produits durables et de qualité entraînant un surcoût compris entre + 10 et + 20 % pour les collectivités, selon l’AMF. «Faute de soutien financier suffisant, le coût supplémentaire, largement supporté par les collectivités, fragilise les budgets locaux et explique que beaucoup de communes n’atteignent pas encore les objectifs de la loi», analyse le syndicat national de la restauration collective représentant des prestataires comme Sodexo, Elior ou Compass group (les trois leaders du secteur) qui assurent, selon ses données, environ 30 % des repas de ce secteur au chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros.
Fortes contraintes liées aux marchés publics
L’AMF ne cesse de tirer la sonnette d’alarme auprès des pouvoirs publics. Le 16 avril, elle a envoyé un courrier à la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, pour l’alerter sur «les difficultés éprouvées par un certain nombre (de collectivités) dans un contexte de hausse des coûts et de restrictions budgétaires». Le 15 juillet, un second réclamait un nouveau cadre de la commande publique afin d’aider les communes à respecter Egalim. Les réponses du ministère n’ont rien amené de «concret» à en croire Gilles Pérole.
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La période n’est, il est vrai, pas propice à des financements supplémentaires. L’aide gouvernementale permettant aux communes rurales de proposer la cantine à 1 euro pour les familles les plus modestes, avec un bonus attribué aux collectivités ayant atteint les objectifs d’Egalim, a ainsi été gelée en juillet pour les nouvelles inscriptions. Motif ? «Un grand nombre des demandes», a indiqué le ministère du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles. «Comme si les plus pauvres n’étaient que dans les communes rurales», commente Gilles Pérole.
Les fortes contraintes liées aux marchés publics, qui ralentissent le processus, compliquent aussi la donne pour les élus. Autre écueil : l’approvisionnement local, particulièrement recherché par les collectivités, ne figure pas parmi les critères retenus dans la loi Egalim pour définir les «produits durables et de qualité». Au contraire des labels de qualité (Label rouge, AOC, AOP…). Mais ces derniers affichent des tarifs nettement plus salés. Seule amélioration, depuis 2022, les agriculteurs se sont organisés et structurés en filière pour être plus labélisés.
Quelques aberrations
Mais tout n’est pas sombre pour autant. Localement, certaines initiatives fleurissent pour faire évoluer les services de restauration. L’association de coopération territoriale AgriParis Seine, qui rassemble les collectivités du bassin de la Seine, dont Rouen, Le Havre et la ville de Paris, s’est ainsi donné pour mission, depuis sa création en 2023, de faciliter les liens entre coopératives agricoles locales et collectivités. Elle poursuit un double objectif : permettre d’un côté aux producteurs de se faire connaître, car «il est très difficile d’avoir une vision globale. Les données sur les marchés sont publiques mais éparpillées sur internet», explique la directrice de l’association, Léa Barbier. Et de l’autre accompagner les gestionnaires dans les méandres du processus d’appel d’offres.
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Un processus qui peut parfois se révéler particulièrement complexe. Un exemple ? «S’ils rédigent un lot pour un fruit et des légumes et qu’ils mettent au milieu des bananes, cela exclut de l’offre le petit producteur qui n’en produit pas», explique Léa Barbier. Plus encore, la législation européenne empêche d’indiquer une provenance géographique dans l’appel et oblige à filouter (une aberration pour nombre d’acteurs interrogés). Dans la ligne de mire de l’association : une nourriture plus saine dans l’assiette des élèves, et un débouché économique pour les agriculteurs. «Si les exigences d’Egalim étaient respectées, la filière bio serait quasiment sortie d’affaire», rapporte le sénateur Simon Uzenat.