La France s’apprête-t-elle à dire adieu aux chèques ? La Direction générale des finances publiques (DGFIP) a en tout cas ouvert la porte à leur refus pour le paiement des amendes et des impôts. «Une réflexion est en cours», déclarait ainsi la directrice générale de la DGFIP, Amélie Verdier, lundi 4 août, confirmant une information du Monde. Si aucune date n’a officiellement été dévoilée par Bercy, cette réflexion pourrait aboutir à la fermeture du dernier centre de traitement des chèques, situé à Rennes, à l’horizon 2027.
«Nous constatons une baisse très régulière des paiements par chèque», confirme-t-on du côté de Bercy. En 2024, ils ne représentaient plus que 4,5 % des versements aux finances publiques (toutes catégories confondues), soit moins de 40 millions de chèques, et environ 1 % en montant des recettes. La situation n’est pourtant pas nouvelle. Les encaissements par chèques sont en baisse continue depuis dix ans (-70 % sur la période), avec une forte accélération l’année dernière (-25 %). L’administration a déjà pris des mesures visant à ralentir l’utilisation des chèques adressés à la DGFIP. Depuis 2019, il n’est par exemple plus possible de payer par chèque les impôts d’un montant supérieur à 300 euros.
364 millions d’euros de fraudes au chèque en 2023
«Le chèque est un moyen de paiement fraudogène et coûteux en gestion», avance Bercy pour justifier sa réflexion. Il est vrai qu’il est l’instrument le plus fraudé ces dernières années. «Le chèque représente 2 % du nombre de paiements scripturaux [paiements effectués par prélèvements, cryptomonnaies, chèques et cartes bancaires, ndlr], mais plus de 20 % des montants de fraude annuels, précise Julien Lasalle, directeur adjoint des études et de la surveillance des paiements de la Banque de France. C’est un support papier avec peu de sécurité et sans mécanisme d’authentification, qui peut être volé ou détourné facilement.»
En 2023, le montant des opérations frauduleuses par chèque s’élevait à 364 millions d’euros. Un montant en baisse de 8 % par rapport à 2022, après la mise en place de mécanismes de prévention sur les remises frauduleuses par les banques au début des années 2020. «Ces solutions ont permis d’éliminer 40 % [soit 222 millions d’euros en 2023] de la fraude au chèque», renchérit Julien Lasalle. Seulement, la baisse encore plus accentuée du nombre de transaction par chèque (-13,4 %) fait augmenter légèrement la proportion de fraude.
Une pratique générationnelle
Au début des années 2000, 37 % des transactions financières françaises s’effectuaient par chèques, contre moins de 3 % en 2024. «Il y a un effet générationnel fort, décrit Julien Lasalle. Les populations actives d’aujourd’hui n’ont plus le réflexe de sortir un chèque pour leurs achats du quotidien en magasin. Cette pratique reste l’apanage des séniors, et les commerçants les acceptent de moins en moins.» Pourtant, les chèques n’ont pas totalement disparu, et sont aujourd’hui majoritairement utilisés par les associations caritatives, les petites entreprises, ou pour les virements entre particuliers.
Le Covid a lui aussi accéléré la transition vers les autres moyens de paiement. «Le nombre de chèques émis l’année du Covid a baissé de 26 %, cela a été très significatif. Depuis cette période, la baisse s’est un peu stabilisée, mais on reste sur un rythme de l’ordre de moins 12 % par an depuis 2022», précise Julien Lasalle. A cette époque où le toucher était presque prohibé, le sans contact s’est généralisé, et a ancré les habitudes de paiements. En témoigne l’augmentation des applications de paiements mobiles comme Apple Pay, Paylib, Wero, ou Lydia, désormais privilégiées au détriment des moyens plus traditionnels.
«On exclut toute une partie de la population»
Alors, vraiment fini le chèque ? L’hypothèse semble un peu prématurée. «Les habitudes de paiement évoluent très lentement. Le chèque cède sa place petit à petit, mais il est toujours là, tempère Julien Lasalle. On se dit : 2 % des flux, ce n’est pas beaucoup. Mais c’est quand même 800 millions de paiements en 2024. Le chèque n’aura pas disparu d’ici à 2030, mais son usage sera sans doute encore plus marginal qu’aujourd’hui. On sera proche, voire en dessous des 1 %.»
Mais les annonces de la DGFIP laissent croire à une volonté de l’administration de s’en séparer dans les années à venir, ce qui pose question à certains acteurs du secteur. «Nous sommes très inquiets, réagit Olivier Villois, de la CGT finances publiques. L’administration est en train de développer les outils numériques en oubliant une partie de la population qui ne veut – ou ne peut – payer avec ces outils.» «Nous défendons la liberté dans le choix du moyen de paiement, partage Julien Lasalle. Il faut que ceux qui veulent continuer à utiliser le chèque puissent le faire dans de bonnes conditions.» De son côté, Bercy précise que des alternatives existent déjà : prélèvements automatiques (mensualisés ou non), virements, paiement par carte bancaire auprès des guichets DGFIP, ou encore réseaux de paiement de proximité développés par les buralistes. Il reste donc bien des étapes avant de potentiellement dire adieu à cette spécificité de paiement très française.