C’était un moment attendu. Mercredi 25 septembre, une dizaine de parties civiles (sur les 1600 constituées) sont venues témoigner à la barre de leurs déboires avec la Sfam, courtier en assurance placé en liquidation judiciaire en mai, ou avec d’autres entités du groupe Indexia (lui aussi liquidé) que dirigeait Sadri Fegaier. L’ancien PDG et six de ses anciennes sociétés sont accusés de pratiques commerciales trompeuses, et comparaissent depuis lundi devant le tribunal judiciaire de Paris.
Le premier appelé, Bernard D., costume noir, s’avance à la barre. L’histoire a commencé – comme pour l’immense majorité des parties civiles venues témoigner – à la Fnac (partenaire de la Sfam entre 2017 et 2019), lors de l’achat d’un téléphone en 2018. «On m’a indiqué que je pouvais résilier ou piloter mon contrat d’un simple appel téléphonique», relate-t-il, ajoutant qu’on lui promettait en plus d’être remboursé de 30 euros sur son achat. Ce professeur émérite d’université retrace par le menu ses échanges avec la Sfam et les courriers envoyés directement à Sadri Fegaier. La façon dont des options ont été ajoutées à son contrat sans son consentement. La confirmation de leur résiliation, puis la reprise des prélèvements.
Mais pour Bernard D., le préjudice n’est pas seulement matériel (7 000 euros en tout), il est aussi moral. «Une assurance doit protéger celui qu’elle assure. Je n’aurais jamais imaginé qu’une assurance puisse entrer dans mes comptes pour les piller», témoigne-t-il. Et d’ajouter : «Je ne remettrai plus les pieds à la Fnac.»
«On vit tous la même chose»
Devant une audience silencieuse et concentrée, une femme s’approche, tailleur et brushing impeccables. Cette coach de dirigeants d’entreprise est venue témoigner pour son fils de 28 ans, résidant à l’étranger. Après l’achat d’un ordinateur à la Fnac, il découvre par mail être client de la Sfam et appelle pour résilier. On lui assure que sa demande est prise en compte. En réalité, les prélèvements, dont les montants varient, se multiplient. En tout, le groupe prélèvera plus de 12 000 euros en 235 prélèvements. Nicole D. ne cache pas sa colère.
«Son compte a été siphonné, spolié. J’ai pris plusieurs heures, jour et nuit, à relever tous les prélèvements.» Elle apporte un élément intéressant : dès que la résiliation a été soi-disant confirmée par téléphone, les prélèvements ont explosé, comme si cela avait été «le déclencheur d’une stratégie exponentielle», le client pensant l’affaire réglée. A son retour dans le public, plusieurs clients lésés viennent la remercier. «On vit tous la même chose», commente une femme.
«Chaque année ça augmentait»
L’après-midi avance et les témoignages de parties civiles, principalement représentés par l’avocate Emma Leoty, s’enchaînent. L’histoire commence presque toujours de la même façon : un achat à la Fnac, une enseigne qui inspirait la confiance pour les clients, ou dans un magasin Hubside, l’une des filiales de Sadri Fegaier, spécialisée dans la téléphonie. Dans quelques cas, après un démarchage téléphonique. A 19 ans, en 2017, un jeune homme achète un ordinateur à la Fnac. Quelques années plus tard, il se rend compte que 24 000 euros ont été prélevés sur son compte. «Chaque année ça augmentait. En août 2023, il y a eu 53 prélèvements pour un montant de 2650 euros», explique-t-il.
La présidente de l’audience ne peut s’empêcher de lui demande pourquoi il ne s’est pas rendu compte de la situation plus tôt. «J’avais 19 ans, mon père était décédé en 2016, j’avais de l’argent sur mon compte. En 2021, j’ai voulu acheter mon appartement et j’ai appris qu’avoir autant de prélèvements d’une même compagnie ce n’était pas forcément normal», répond-il, d’une voix encore juvénile. Parfois, l’énoncé des préjudices fait bruisser l’assemblée. C’est un cri collectif quand Gilles P, réalisateur et intermittent du spectacle, indique s’être fait prélever 42 900 euros.
La panique monte
Les parties civiles se succèdent. Une retraitée explique à la cour que son métier, «dans une vie antérieure», était directrice des relations clients et en particulier des réclamations. Elle souscrit à une assurance de la Sfam avec l’achat d’un téléphone en 2017 à la Fnac. En vacances dans le Sud, en 2023, elle constate l’apparition sur son compte «de prélèvements anarchiques pour des entités avec lesquelles je n’ai jamais contracté». La panique monte quand elle se rend compte qu’entre les mois de juillet et aout 2023, 65 prélèvements ont été effectués sur son compte pour une somme totale de 3400 euros. Au total, son préjudice grimpe à près de 19 000 euros.
Connaissant les procédures, elle met tout en œuvre pour résilier le contrat, mais ne reçoit aucune réponse. «Je vous passe l’effet sur mon moral. J’ai travaillé toute ma vie dans une compagnie d’assurances, j’ai beaucoup de mal à me faire arnaquer par une compagnie d’assurances», conclut-elle. Puis Jason, 24 ans, s’approche. Handicapé par une infirmité motrice cérébrale, il a écrit son témoignage à l’avance, lu par une voix de synthèse. Le jeune homme, fondateur d’une entreprise spécialisée dans les accessoires pour personnes en fauteuil roulant et en grande dépendance, accuse la Sfam d’avoir abusé de sa position pour lui faire souscrire un contrat. Avec un ami, ils tentent tout afin de résilier, e-mails, coups de téléphone et même démarches en boutiques, jusqu’à ce que le gérant fasse appel à la police, témoigne-t-il.
«Maintenant, quand je donne un RIB, même à une administration, j’ai peur»
A quelques mètres, Sadri Fegaier se ratatine. Et ce n’est pas fini. Colette a 91 ans, elle vit en Ehpad. Sa fille témoigne pour elle. «Ma mère m’appelle en novembre 2022 en panique parce qu’elle est en découvert à la banque, ce qui ne lui est jamais arrivé de sa vie», explique cette directrice de la communication d’une ONG. Depuis 2014 et l’achat d’un téléphone chez Orange, Colette s’est fait prélever 20 000 euros. Comme dans les autres dossiers, les appels à la Sfam n’aboutissent pas. «Après tout ça, ma mère a complètement perdu pied. Elle ne voulait plus sortir de chez elle, ni utiliser sa carte bancaire. Elle ne voulait plus se nourrir», raconte sa fille. En mai 2023, Colette ne peut plus vivre seule et est placée en Ehpad. «Je suis en train de perdre ma mère à petit feu», souffle sa fille, avant de rejoindre le public, en pleurs, immédiatement épaulée par d’autres parties civiles.
Une cadre dans une institution publique indique de son côté avoir perdu environ 6000 euros entre 2018 et 2023. «J’ai un salaire public. Cela représente une année de frais d’inscription, de matériel, de loyer pour ma fille. J’ai dû faire un prêt», raconte-t-elle. Et d’ajouter : «Maintenant, quand je donne un RIB, même à une administration, j’ai peur.» Lucie, une des dernières parties civiles à témoigner, raconte avoir perdu 9600 euros. Appels successifs, plainte, lettre recommandée, rien n’y fait. «Ma maman est décédée un an plus tard et je n’avais pas de sous pour aller l’enterrer. J’ai dû faire un prêt et demander de l’argent à des proches. Je voudrais pouvoir les rembourser.» A la fin de l’audience, l’émotion est palpable. Une femme, ancienne cliente de la Sfam, pleure. «Je suis plus triste pour les autres que pour moi-même.»