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Seconde vie

Réparation des objets du quotidien : retape départ pour dynamiser la filière

Ateliers, animations, rencontres... A partir de ce vendredi 18 octobre et pour trois jours, 900 événements à travers la France animent les «journées nationales de la réparation», alors que le bonus dédié, lancé en 2022, reste sous-utilisé.
L’élargissement du bonus à la réparation de vélos est en cours de discussion avec la filière et devrait prochainement être mis en place. (Albert Facelly/Libération)
publié le 18 octobre 2024 à 16h38

1, 2, 3… Réparez. A partir de ce vendredi 18 octobre et pendant tout le week-end, l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP) et le fonds de dotation Make.org Foundation organisent, avec le soutien du ministère de la Transition écologique, la deuxième édition des journées nationales de la réparation (JNR). L’occasion de «prendre le temps d’aller faire réparer l’aspirateur qui traîne dans le placard», d’apprendre à retaper sa machine à café voire et pourquoi pas «d’éveiller des vocations», espère Flavie Vonderscher, chargée de plaidoyer chez HOP.

Ateliers organisés par des associations ou des professionnels pour apprendre à réparer son électroménager, son vélo ou un vieux jean, conseils, découvertes des entreprises et du secteur, animations… En tout, plus de 900 événements sont prévus un peu partout en France.

«Pas entrée dans les mœurs de tout le monde»

Avec la mise en place progressive du bonus réparation depuis 2022, visant à réduire la facture pour le consommateur, et la prégnance des enjeux écologiques, «le fond de l’air est à la réparation», observe Rémy Oudghiri, sociologue et directeur de Sociovisio. D’après une étude réalisée par cette filiale de l’Ifop parue début octobre, 73 % des Français affirmer réparer ou faire réparer des objets qui ne fonctionnent plus ou sont cassés, dont 32 % indiquent le faire souvent. «Si tous les Français faisaient durer leurs appareils électroniques trois ans de plus, cela permettrait l’économie de 15 millions de tonnes de CO2», ajoute Roland Marion, directeur de l’économie circulaire à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).

Mais le chemin est encore long. La pratique «n’est pas entrée dans les mœurs de tout le monde», selon Rémy Oudghiri. D’après le dernier baromètre SAV de Fnac Darty, très regardé dans le milieu, seuls 38 % des acheteurs interrogés par le groupe envisagent la réparation de leur appareil avant d’en acquérir un neuf. Une majorité pense que leur objet était irréparable, que la réparation serait trop coûteuse et qu’il serait plus simple de remplacer. Ce coût reste le «principal frein», selon les acteurs du secteur. Pour être acceptables, les tarifs pratiqués ne doivent pas excéder 30 % du prix du neuf. Et en fonction de l’objet en question, ce seuil est parfois dépassé, même si des efforts ont été faits.

Talon de chaussure, semelle de sneakers

Premier levier pour agir sur les coûts : le bonus réparation. En 2024, «nous avons augmenté les montants des bonus pour certains produits phares, comme le lave-linge, le lave-vaisselle, ou les téléviseurs, s’est félicité Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, à l’occasion de la conférence de lancement des JNR, jeudi 17 octobre. Nous avons élargi les types de casses et pannes couvertes par le bonus, par exemple la casse de l’écran des smartphones. Et enfin, nous avons simplifié les démarches de labellisation et de remboursement auprès des réparateurs.» L’élargissement du bonus à la réparation de vélos est en cours de discussion avec la filière et devrait prochainement être mis en place.

Avec le bonus, la réparation d’un talon de chaussure passe d’environ 27 à 20 euros. La ristourne est de 18 euros pour remplacer la semelle de sneakers, facturée entre 50 et 60 euros. «Les clients souvent ne connaissent pas le bonus. Ils sont enchantés quand on leur dit», observe Aurélie Fircowicz, directrice associée de Murfy, une entreprise spécialisée dans la réparation de l’électroménager. Jean-Pierre Verneau, président de la Fédération française de la cordonnerie multiservice, raconte pour sa part avoir «vu des clients arriver pour une petite réparation, finalement décider de refaire une semelle, puis revenir avec deux paires».

Le dispositif encourage, mais reste trop méconnu, alors que (pour une fois) ce n’est pas l’argent qui manque. Dans l’électronique et l’électrique, par exemple, seulement 20 % de l’enveloppe a été décaissée, d’après HOP. Toute filière confondue, entre janvier et juin 2024, «le bonus réparation a permis de baisser la facture de plus de 495 453 interventions. Soit un total de 14,8 millions d’euros versés depuis la mise en place du fonds sur un montant global disponible de 44 millions d’euros pour 2024, soit 34 %», avance une étude de l’association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV). Un résultat assez éloigné des objectifs, puisque l’ensemble du fonds géré par plusieurs éco-organismes doit être dépensé d’ici 2027 (et 2028 pour l’habillement), sous peine de sanction.

Barre psychologique des 30 %

Malgré le coup de pouce lié au bonus, certaines réparations coûtent encore cher. D’après l’étude de CLCV, la réparation d’un ordinateur coûte 39 % du prix du neuf, au-delà de la barre psychologique des 30 % donnée par l’Ademe. Ce taux atteint 75 % pour les plaques de cuisson et dépasse carrément les 100 % pour les centrifugeuses, les presse-agrumes et les fers à repasser. Sans compter que des augmentations de tarif après l’arrivée du bonus réparation, ont été observées.

Dans le même temps, toute une filière s’échine à proposer des prix intéressants, sans compter le secteur associatif, historiquement impliqué dans la réparation et l’éducation à l’autoréparation. Les indépendants se labellisent peu à peu pour pouvoir proposer le bonus, qui peut aussi avoir un intérêt économique pour eux.

«Les réparateurs labellisés nous témoignent a minima de 20 % d’augmentation de leur chiffre d’affaires depuis qu’ils proposent le bonus», indique ainsi l’éco-organisme Refashion. Et les grands groupes disposant de davantage de moyens se sont aussi lancés dans la danse, comme Fnac Darty, qui propose depuis la fin de l’année 2019 un abonnement pour une dizaine d’euros par mois couvrant la réparation de ses objets.

Formation

Reste un obstacle majeur. L’arrivée en masse de produits à bas prix et de moindre qualité a salement amoché la filière, notamment parmi les indépendants. Dans la cordonnerie par exemple, on compte 3 600 artisans contre 43 000 dans les années 80. Pour l’électrique et l’électronique, Ecoystème, un des éco-organismes chargés de collecter et répartir le bonus réparation, estime qu’il manque 3 000 réparateurs pour répondre à la demande.

Le manque de formation joue aussi. Certaines entreprises, comme Murfy ou Fnac Darty, ont lancé leur propre cursus de formation, afin de grossir les troupes de réparateurs en interne. Pour tenter de remédier au problème, Agnès Pannier-Runacher a souhaité qu’une partie des différents fonds réparations alimentés par une contribution sur les achats de produits neuf «puisse soutenir la formation aux métiers de la réparation».

Plusieurs acteurs, comme l’Institut national de l’économie circulaire, mais aussi la Confédération nationale de l’artisanat, des métiers et des services, ainsi que certains entrepreneurs, demandent en outre une TVA réduite à 5,5 % sur les produits et services de l’économie circulaire. À l’occasion de l’examen du budget 2025, un amendement en ce sens, porté par le sénateur socialiste Stéphane Delautrette, a été adopté jeudi en commission des finances. Reste à voir si la mesure survivra aux travaux parlementaires. «Mais c’est un beau pied dans la porte», commente un spécialiste du secteur.