Mauvais temps, inflation et maintenant crise politique… «Ce n’est pas une bonne période», résume Pierre Talamon, président de la Fédération nationale de l’habillement (FNH) qui représente les magasins de vêtements indépendants, soit environ 30 000 boutiques et 40 % du chiffre d’affaires du secteur, hors accessoires. Les soldes qui ont démarré ce mercredi 26 juin risquent d’en pâtir.
La dissolution de l’Assemblée nationale a-t-elle eu un impact sur le comportement des clients ?
Depuis le 9 juin, on sent l’inquiétude chez le consommateur. Il y a de l’incertitude et le commerce a vraiment besoin de stabilité politique. Globalement, ce n’est pas une bonne période. On observe moins de fréquentation dans les magasins. Les gros achats comme les achats plaisir sont touchés. On ne s’attend pas du tout à des miracles pendant ces soldes. Au mieux, on fera comme l’année dernière, avec une tendance baissière. La situation du secteur textile n’a pas été bonne en 2023, et ce sont les projections pessimistes qui l’emportent. On a enregistré une baisse des ventes de vêtement en 2023 qui continue en 2024 [-2 % entre le début de l’année et la fin mai, selon l’Institut français de la mode, ndlr]. Le pouvoir d’achat est contraint par un contexte économique difficile, puisque 42 % des Français restreignent leurs dépenses d’habillement. Il y a 15 % de surstock par rapport à l’année dernière. Les commandes sont revues à la baisse, mais parfois les marques ne laissent pas la possibilité de commander moins au distributeur indépendant qui veut mesurer son stock avec parcimonie. De leur côté, les boutiques qui travaillent à flux tendu en réassort ont des stocks moins chargés, mais aussi moins de trésorerie.
Les clients se tournent aussi toujours plus vers les plateformes de vente en ligne ultra-low cost, comme Shein ou Temu, le géant chinois de l’e-commerce qui décroche la cinquième place du top 20 d’audience des sites de vente en ligne, au premier trimestre 2024, un an seulement après son arrivée sur le marché français…
On assiste depuis le début des années 2020 à l’émergence de grandes plateformes internationales avec de très bas prix qui rendent les soldes moins attractives. Elles peuvent encore fonctionner sur du premium mais pas sur de l’entrée de gramme où des petits prix sont déjà pratiqués toute l’année. Les soldes ont tendance à devenir une promotion comme une autre. On ne peut pas simplement légiférer sur les soldes, il faut encadrer les promotions et la réciprocité des normes à l’échelle européenne avec des produits venus de l’étranger qui s’affranchissent de toutes les règles que l’on s’impose à nous-même.
Vous réclamez aussi une refonte totale du calendrier des soldes qui pousse selon vous à la surconsommation.
La Fédération se positionne pour un décalage assez draconien des soldes afin qu’elles soient vraiment déstockantes en fin de saison. On parle de croissance responsable et on a encore des soldes d’été en début de saison d’été. Cet hiver, par exemple, il a fait très chaud jusqu’au mois de décembre. Les soldes sont arrivées quand il a commencé à faire froid, avec des promotions sur des produits d’hivers comme les manteaux. Le calendrier des soldes aujourd’hui encourage vraiment la surconsommation. Il faudrait déplacer celles d’hivers en février, et terminer celles d’été vers le 10 septembre. Cette idée fait consensus au sein des quatre fédérations de l’équipement de la personne (habillement, chaussures, maroquinerie, lingerie).
C’est un peu la guerre entre deux clans, les indépendants avec entre une et 30 boutiques et les grandes chaînes spécialisées qui jouent sur le volume et leur marge. Les grandes enseignes ont une liberté d’action beaucoup plus importante sur les marges et ont intérêt à solder fort et déstocker. Tout ça au détriment des commerces indépendants qui se situent à 75 % dans les centres-villes et ne peuvent rivaliser. Les intérêts ne sont pas les mêmes, mais une petite musique monte et certaines grandes enseignes commencent à se poser la question. Nous avons porté l’idée dans le cadre de la création du Conseil national du commerce en 2023, mais avec la situation politique, on ne se sait pas que ça va devenir.