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Libération
A fond les profits

Contrairement à ce qu’il disait, Decathlon a continué à approvisionner des magasins en Russie

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Selon une enquête publiée ce mardi 19 décembre par le média d’investigation Disclose, l’enseigne française aurait continué à livrer des articles de sport à son repreneur russe Desport, passant notamment par une société écran émiratie. La direction de Decathlon nie avoir enfreint les lois internationales.
A l'entrée d'un nouveau magasin de sport russe «Desport», ouvert à la place d'un magasin Decathlon, à Moscou le 29 novembre. (Getty Images)
publié le 19 décembre 2023 à 20h07

A fond les profits. Selon une enquête du média Disclose publiée ce mardi 19 décembre, Decathlon continue à livrer des vêtements au repreneur russe de ses magasins alors que l’enseigne de sport avait annoncé arrêter cesser toute activité en Russie un gros mois après le début de la guerre en Ukraine. Le tout grâce à un montage via une société écran établie à Dubaï.

Fin novembre, de nouveaux magasins de sport levaient leur rideau à Moscou et dans sa banlieue. Sous les applaudissements d’employés arborant de larges sourires, les clients découvraient, entre autres, la boutique Desport du centre commercial Aviapark de Moscou qui n’est pas si nouvelle que ça. Desport, c’est le nouveau nom des boutiques Decathlon en Russie depuis que l’enseigne française a annoncé mettre fin à ses activités en Russie le 29 mars 2022. Départ consommé en octobre 2023, avec la cession de ses 60 magasins à Desport.

Mais sur les vidéos publiées sur VK (le Facebook russe) on peut distinguer sur les rayons russes des produits estampillés Forclaz, Quechua, Wedze ou Kalenji, des marques créées et vendues par Decathlon. Ce qui n’est pas le résultat d’un déstockage massif, affirme Disclose qui s’est penché sur les stocks des magasins Desport.

Singapour-Bengladesh-Russie

Pour envoyer 1,2 million de produits en Russie, la multinationale propriété du groupe Mulliez – un des rares groupes français à avoir maintenu ses activités en Russie en y conservant Auchan, qui y réalise plus de 10 % de ses ventes – aurait utilisé deux astuces. D’abord «réserver» des produits destinés au marché européen pour la Russie (selon un mail envoyé par le responsable de production de Decathlon). Puis avoir recours à une société écran située aux Emirats arabes unis.

Selon Disclose, depuis Singapour en septembre, la filiale de Decathlon baptisée Desipro a en effet passé commande auprès des fournisseurs situés au Bangladesh, au Vietnam et en Chine pour des expéditions vers «Sports-R» (R comme Russie, nom de code utilisé pour désigner les magasins Desport). Une fois fabriqués, les articles de sport sont acheminés par avion à Dubaï où la société Phenix Limited achète les produits.

Sauf que… Phenix Limited n’existe pas. Elle n’a aucun site, aucun employé n’est répertorié sur Internet, écrit Disclose : cette société est en réalité rattachée au cabinet spécialisé dans la création de sociétés off-shore, Sun Dubaï. «Les conteneurs de produits Decathlon envoyés depuis le Bangladesh n’ont pas quitté le tarmac des aéroports de Dubaï, explique une source au média d’investigation. Ils sont immédiatement repartis vers Moscou.»

Un contrat de 12 millions de dollars

Le 2 novembre, Desport réceptionne 511 mètres cubes de produits Decathlon, l’équivalent de huit conteneurs de grande taille. De quoi remplir les rayons de ses 23 magasins de Moscou et Saint-Pétersbourg, assurer leur ouverture en grande pompe le 25 novembre, planifier l’ouverture de 28 nouvelles boutiques d’ici fin décembre et honorer un contrat d’approvisionnement de 12 millions de dollars (11 millions d’euros).

Après les révélations du média d’investigation, Decathlon s’est défendu ce mercredi : la direction de l’enseigne de sport affirme «n’opérer aucun magasin en Fédération de Russie, n’employer aucun salarié et ne détenir aucune participation dans des entreprises en activité sur ce territoire». Le groupe reconnaît avoir fourni des produits à son repreneur sur le sol russe, sans toutefois avoir enfreint les lois internationales en vigueur. «Afin de finaliser la transaction, il a été conclu - conformément aux réglementations locales et internationales en vigueur – de procéder pour une durée limitée, à la fourniture d’une quantité déterminée de produits pour accompagner le repreneur et le lancement de son activité en préservant ainsi les emplois des ex-équipiers.» Auprès du média Disclose, Decathlon avait affirmé mettre «également tout en œuvre pour faire cesser la revente, sur le territoire de la Fédération de Russie, de produits achetés en Europe par des tiers.»

Alors que la guerre en Ukraine dure depuis bientôt deux ans, l’Union européenne a adopté lundi un douzième paquet de sanctions économiques contre la Russie, qui comprend notamment l’interdiction des importations de diamants russes. Ces sanctions viennent s’ajouter à l’interdiction pour les pays européens d’exporter des armes, des articles de luxe ou des biens pouvant contribuer au renforcement des capacités industrielles et militaires russes. Pas des articles de sport.

Mise à jour : mercredi 20 décembre à 11h48, avec l’ajout de la réaction du groupe Decathlon auprès de la presse.