La charge au bazooka de l’un des hommes les plus riches de France provoque des détonations en chaîne ce dimanche 21 septembre. La veille au soir, Bernard Arnault a qualifié l’économiste Gabriel Zucman, défenseur d’une taxe sur les très hauts patrimoines, de «militant d’extrême gauche» et de «pseudo-universitaire», dans une déclaration publiée par le Sunday Times. Le multimilliardaire a également jugé que cette proposition de taxe, au centre du débat politique ces derniers jours, relevait «d’une volonté clairement formulée de mettre à terre l’économie française».
«La fébrilité n’autorise pas la calomnie», a cinglé l’intéressé sur X, dans un fil de messages publié en réponse samedi soir. «Surpris» par «le caractère caricatural des attaques» du patron de LVMH, Gabriel Zucman a déploré des propos qui «sortent du domaine de la rationalité et sont sans fondement», avant de s’attacher à démontrer l’iniquité devant l’impôt en France ainsi que l’intérêt d’appliquer sa proposition de taxation qui constitue «un instrument de justice, d’apaisement social et de stabilité budgétaire».
Son ancien professeur et directeur de thèse à l’EHESS, Thomas Piketty, a aussi démonté l’argumentaire de Bernard Arnault, qui «raconte n’importe quoi» : «Les 500 plus grandes fortunes ont progressé de 500% de 2010 à 2025. Avec une taxe de 2% par an, il faudrait un siècle pour revenir au niveau de 2010, à supposer qu’elles ne bénéficient d’aucun revenu dans l’intervalle», a noté l’économiste ce dimanche sur X. Avant d’ironiser : «C’est cela mettre l’économie française à terre ?»
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Les responsables politiques de gauche, qui poussent Sébastien Lecornu à reprendre cette mesure dans son projet de budget 2026, ont rapidement pris position contre les propos de Bernard Arnault. «Ce qui détruit notre économie et plus encore notre société, c’est l’absence de toute forme de patriotisme de la part des ultra-riches, qui mendient l’aide de l’Etat mais ne se plient à aucune forme de solidarité», a dénoncé sur X le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure.
«Cette agressivité illustre quelque chose […], un hold-up : [les ultra-riches] accumulent des richesses comparables aux privilèges de l’Ancien Régime», a vilipendé Eric Coquerel sur France 3. Le président insoumis de la commission des finances de l’Assemblée nationale a donc salué une taxe «pertinente» qui «pointe la manière dont se sont enrichis les ultra-riches depuis vingt ans» : ils «ont transféré une partie de leurs revenus personnels, qui ont augmenté, vers du patrimoine sur des biens professionnels» moins taxés. Ce pourquoi, à ses yeux, une nouvelle taxation ne doit pas les exclure.
«Bernard Arnault n’a plus qu’une carte à jouer : décrédibiliser les travaux de Gabriel Zucman, pourtant lauréat du prix du meilleur jeune économiste exerçant aux Etats-Unis, et soutenu par sept Prix Nobel», a de son côté rappelé l’ex-insoumise Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis. «Ces personnes ont un patrimoine de plus de 100 MILLIONS qui leur rapporte en moyenne 10% par an, et il faudrait pleurer pour elles ? Qui a pleuré pour la baisse des APL ?» a interrogé Marine Tondelier, cheffe du parti Les Ecologistes.
Marine Le Pen godille
Marine Le Pen, dont le parti navigue entre promesses sociales à son électorat populaire et drague des grands patrons, a rejoint les critiques de Bernard Arnault contre la taxe Zucman. Dans le bolloréen JDD, elle a évoqué une «mesure floue», qui détourne «de l’essentiel», c’est-à-dire selon elle «des économies, qui passent par la réduction de l’immigration, de notre contribution à l’UE, des fraudes et du train de vie de l’Etat». La présidente du groupe RN à l’Assemblée a dit préférer un impôt sur la fortune financière, «calqué sur l’ancien impôt sur la fortune» mais excluant la résidence principale et les biens professionnels.
Marine Le Pen s’est en revanche bien gardée de rappeler que chez les très hauts patrimoines, les revenus de capitaux mobiliers (placements financiers, dividendes…) représentent près de la moitié des revenus totaux en 2022, selon la Direction générale des finances publiques (DGFIP).
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A droite, François-Xavier Bellamy a aussi repris à son compte les accusations du multimilliardaire : «Gabriel Zucman est un militant d’extrême gauche, il a soutenu publiquement le NFP. Le but est de détruire le principe même de l’économie libérale», a-t-il lancé sur le plateau de BFMTV dimanche midi. L’eurodéputé et vice-président délégué du parti Les Républicains mise plutôt sur la théorie du ruissellement, en dépit du fait qu’elle ne soit adossée à aucun argument scientifique : «Quand LVMH réinvestit de l’argent pour faire tourner l’économie, Gabriel Zucman voudrait que cet argent soit taxé.»
Côté macroniste, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’est montrée plus mesurée. Elle a certes critiqué la taxe Zucman «telle qu’elle est présentée aujourd’hui», mais s’est dite favorable à une «taxation [qui] donnerait un rendement intéressant et permettrait à chacun dans notre pays de se dire que l’effort est partagé». Il est nécessaire «que les grandes fortunes soient mises à contribution» dans le budget 2026, a-t-elle plaidé dans le Parisien samedi soir.
20 milliards récupérés par an
La taxe Zucman consisterait à taxer à hauteur de 2% par an les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, ce qui concerne environ 1 800 foyers fiscaux. Selon son promoteur, elle permettrait de récupérer 20 milliards d’euros par an. Un chiffre qui fait débat parmi les économistes, certains l’estimant bien inférieur, d’autres légèrement supérieur.
Gabriel Zucman souligne notamment l’intérêt de cette mesure face à la capacité des ultra-riches à créer eux-mêmes leur illiquidité, en transformant leurs revenus en patrimoine professionnel, notamment via des holdings familiales, afin de réduire leur assiette fiscale, et ainsi d’échapper à l’impôt sur le revenu.
Selon un récent sondage Ifop, commandé par le Parti socialiste, la taxe Zucman recueille 86 % d’opinions favorables. Parmi les mesures économiques portées par le PS, «c’est de loin l’une de celles qui suscite le consensus le plus large, traduisant une attente de rééquilibrage dans la répartition des efforts financiers», note le cabinet. Juste après, plébiscitée par 85% des sondés, vient d’ailleurs la proposition de «faire porter davantage l’effort budgétaire demandé aux Français sur les plus grandes fortunes et entreprises».
Mise à jour : à 14 h 54, avec l’ajout du sondage Ifop.