Le temps des confinements semble révolu. Le port du masque n’est plus de rigueur ou presque. Un élément semble cependant survivre à la pandémie, le télétravail. Ce dernier n’est certes pas apparu avec le Covid, mais la pandémie l’a beaucoup développé. Alors que seuls 4% des salariés le pratiquaient de manière régulière en 2019, 21% d’entre eux avaient été au moins un jour en télétravail en mars dernier, selon la dernière enquête de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Même si ce pourcentage et le nombre de jours télétravaillés ont tendance à reculer depuis la fin de son caractère obligatoire, le télétravail s’installe dans les habitudes. Plus de 2 700 entreprises avaient signé en 2021 un accord à ce sujet.
«Assez paradoxalement, à la différence de nombreuses crises antérieures qui conduisaient à un ralentissement de la productivité tendancielle, l’accélération du recours au télétravail lié à la crise sanitaire pourrait aboutir à un gain durable de productivité», considère le Conseil national de productivité (CNP), qui lui consacre un chapitre entier dans son troisième rapport intitulé «Productivité et compétitivité : analyses conjoncturelles et structurelles post-Covid». Cette instance, installée en juin 2018 et composée de quinze économistes, a compilé les différents travaux menés ces deux dernières années sur le télétravail, ses perceptions, sa pratique et ses conséquences.
Depuis le printemps 2020, le recours à marche forcée au travail à distance a permis de maintenir l’activité et a été «pendant toute la durée de la pandémie, une source de résilience économique qui, selon certaines estimations, a représenté 8% à 14% du PIB au creux de la récession due au Covid-19», note le rapport. «L’effet sur la productivité est de 0,6% à chaque fois que l’on augmente de un point de pourcentage le nombre de télétravailleurs dans une entreprise», avaient déjà calculé en décembre Antonin Bergeaud, économiste à l’Ecole normale supérieure, Gilbert Cette, professeur d’économie à Neoma Business School et Simon Drapala, étudiant à l’Ecole d’économie de Paris. Ces derniers constataient aussi de meilleures productivité et résistance à la crise pour les entreprises qui avaient déjà recours au télétravail en 2019. «En extrapolant, l’effet global de long terme de l’extension du télétravail d’environ 5% à 25% de l’emploi total pourrait améliorer la productivité d’environ 9%», écrivent les membres du CNP, tout en mentionnant plusieurs éléments de prudence vis-à-vis de cette prévision.
«Journée de travail prolongée»
Les études suggèrent que la productivité est plus grande pour les télétravailleurs, ne serait-ce qu’en raison de la disparition du temps de transport entre le domicile et le travail. Il n’est pas encore établi si ce gain est lié à une productivité horaire plus élevée ou à un plus grand nombre d’heures travaillées. Des chercheurs estiment «en comparant le temps séparant le premier et le dernier e-mail envoyé, ou la dernière réunion à laquelle on a participé, que la journée de travail moyenne a été prolongée de près de cinquante minutes pendant la pandémie».
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«Au niveau de l’entreprise, les gains (ou les pertes) de productivité ne se résument pas aux gains (ou aux pertes) de productivité mesurés individuellement au niveau de chaque salarié», constate aussi le rapport. Leurs perceptions ont évolué depuis deux ans. Après une appréciation négative portée quand le télétravail était massif et obligatoire, elle s’est améliorée dans un contexte de «recours modéré et non contraint» à l’automne. Les entreprises sont aussi nombreuses à avoir revu leur propre fonctionnement, en améliorant leur équipement informatique ou en reconsidérant leur fonctionnement immobilier. «La Banque de France note que le loyer d’une entreprise locataire médiane représente environ 8% de sa valeur ajoutée, offrant ainsi une marge de manœuvre pour réduire l’empreinte foncière des entreprises», juge le CNP. Cependant, «ces effets géographiques positifs sur le bilan des entreprises ont une contrepartie : les biens immobiliers sont souvent utilisés comme collatéral par les entreprises, donc réduire leur poids dans le bilan des entreprises pourrait les affaiblir en complexifiant leur accès au crédit».
Le télétravail ne concerne cependant pas toutes les entreprises et tous les salariés indifféremment. Autour de 38% des emplois en France seraient «télétravaillables». Quand 56% des cadres en font régulièrement, ce n’est le cas que de 5% des employés de commerce et de 3% des ouvriers qualifiés. Les inégalités face à cette pratique se retrouvent aussi selon la taille des entreprises et la nature des contrats de travail. «En 2021, 9% des salariés ont télétravaillé dans les entreprises de moins de 10 salariés, contre 36% dans celles de 250 salariés ou plus. De même, le télétravail est moins fréquent en moyenne pour les jeunes (17% en 2021 pour les moins de 30 ans), les salariés à temps partiel (12%) ou encore ceux en emploi à durée limitée (3% en intérim et 13% en CDD)», souligne l’enquête emploi de l’Insee. Ces disparités sont également marquées entre secteurs : la Dares constate notamment que la pratique est inexistante dans l’hébergement et la restauration tandis qu’elle est courante pour plus des deux tiers dans le secteur information-communication.
Aggravation des risques psychosociaux
Pour les salariés qui peuvent travailler de chez eux, différentes enquêtes montrent qu’ils plébiscitent cette organisation qui va dans le sens de leur autonomie. Ils ont déjà commencé à adapter leur vie quotidienne, en déménageant par exemple hors des centres-villes, un phénomène surnommé «l’effet donut». Une analyse des prix de l’immobilier depuis la pandémie montre «un aplatissement du différentiel entre les centres-villes et les banlieues, notamment dans les villes où le télétravail [est] plus répandu». Néanmoins, cette organisation peut s’accompagner d’une dégradation des conditions de travail et d’une aggravation des risques psychosociaux. «La pratique peut entraîner des horaires de travail décalés ou allongés, des troubles de la santé (douleurs, troubles du sommeil) et une conciliation entre travail et vie personnelle plus difficile, comme on a pu l’observer au plus fort de la crise», précise aussi le rapport, qui insiste sur le risque de creusement des inégalités entre les hommes et les femmes, avec un déséquilibre sur la répartition des tâches ménagères. D’où une nécessaire prise en compte du volontariat.
Il faudrait aussi se prémunir contre un risque pointé depuis plusieurs mois aux Etats-Unis notamment, la «télémigration». «Si l’intensification du télétravail est utilisée pour remplacer des travailleurs géographiquement proches et plus coûteux par des travailleurs plus éloignés et moins chers, cela pourrait entraîner une nouvelle vague d’externalisation et de délocalisations», résume le rapport. Garder plusieurs jours de présence au bureau permet d’éviter ce phénomène. L’OCDE estime que «deux à trois jours par semaine» de travail à distance est optimal.