«Malheureusement, ce n’est que le début.» Lors d’une conférence de presse aux accents apocalyptiques, le président de la Fédération française du bâtiment (FFB), Olivier Salleron, a annoncé mercredi 10 juillet que la crise que traverse le monde de l’immobilier et de la construction aurait entraîné au premier trimestre 2024 – soit du 1er janvier au 31 mars – la «destruction» de 25 000 emplois. Pour sa part, l’Insee note du premier trimestre 2023 au premier trimestre 2024 une perte de 20 100 emplois, sur environ 1,6 million dans le secteur du BTP en France.
La construction est aussi redevenue au premier semestre 2024 le premier secteur hexagonal en nombre de liquidations et de redressements judiciaires. Près de 6 700 «défaillances d’entreprises» ont été dénombrées début juillet par l’Observatoire des données économiques du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ). Un record, tous secteurs d’activité confondus, et au moins depuis 2017. Par rapport au premier semestre 2023, ces chiffres correspondent à une augmentation de 29 %, et par rapport à la moyenne des premiers semestres 2018 et 2019, à une hausse 30 %.
Tribune
Les perspectives ne seraient guère meilleures. «Nous allons vers une grande glissade vers la fin de l’année 2024», prévient le patron de la FFB, principal lobby professionnel du secteur. «S’il n’y a aucune mesure puissante de relance sur [la construction de logements] neufs, […] ce sont 150 000 emplois qui seront concernés dans le bâtiment» et sur la sellette d’ici à 2025, a-t-il anticipé.
En septembre 2023, Olivier Salleron évoquait pour la même échéance le chiffre de 135 000 emplois potentiellement détruits. Désormais, en prenant en compte les emplois induits – générés indirectement par l’activité – il fait monter sa prédiction à 300 000 emplois menacés. Symbole de cette catastrophe sectorielle, la crise des promoteurs immobiliers qui avait violemment touché Bouygues Immobilier en avril, après Nexity et Vinci Immobilier.
Un bien sombre tableau que tempère toutefois auprès de Libération le secrétaire fédéral de la Fédération nationale des salariés de la construction et du bâtiment de la CGT, Pascal François. Selon le syndicaliste, «les besoins énormes dans le nucléaire, la mise en conformité des réseaux électriques, la rénovation des ponts, des routes, et les 250 000 salariés annoncés pour la rénovation énergétique des bâtiments» pourraient largement compenser ces destructions d’emplois.
Des mises en chantier insuffisantes
S’il se contente pour sa part d’évoquer «le licenciement d’un certain nombre de personnes, de différents corps de métier», Pierre Madec, économiste spécialiste du logement et de l’immobilier au département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et à Sciences-Po Paris, confirme à Libé «la crise historique» qui frappe le secteur du bâtiment. Et, selon l’expert, le problème semble profond : «Le secteur est traversé par des mouvements aussi structurels que conjoncturels.»
La principale cause de la situation se trouverait dans la chute des mises en chantier. Les statistiques officielles évoquent 280 100 chantiers lancés entre juin 2023 et mai 2024, soit une baisse de 21,5 % sur un an, mal compensée par la croissance de la rénovation énergétique. Cette dernière a marqué le pas depuis le début de l’année, à la suite du recentrage sur les seules rénovations lourdes de MaPrimeRénov, la principale aide à la rénovation, ce qui avait divisé par quatre le nombre de dossiers traités en janvier et février. Le gouvernement est néanmoins revenu sur ce recentrage dès le mois de mars, pour le reporter à janvier 2025.
Analyse
La situation pourrait néanmoins bientôt commencer à se décanter avec la baisse des taux d’intérêt. Espérée depuis des mois, elle est en passe de devenir réalité après l’annonce en ce sens de la Banque centrale européenne début juin.
En réalité, pour le représentant de la CGT, il faut regarder les annonces alarmistes de la Fédération française du bâtiment au prisme du contexte politique. Alors que la France attend toujours un nouveau gouvernement, les lobbyistes de la construction redouteraient ainsi la possibilité de voir arriver au pouvoir un Premier ministre du Nouveau Front populaire, qui demanderait des efforts sur les salaires. «A chaque fois que je vois des coups qui pourraient être portés aux intérêts des entreprises du bâtiment, j’entends que ça va détruire des emplois», s’amuse Pascal François.
En attendant un ministre…
S’il a salué les investissements massifs dans le logement promis par la gauche, Olivier Salleron, de la FFB, a effectivement mis en garde contre des propositions vues comme «extrêmes». «Les mesures sectorielles, c’est excellent. […] Mais attention de ne pas aller trop loin», a-t-il déclaré, citant l’ambition du NFP d’augmenter le smic de presque 14 %. «Attendons que l’économie reparte, qu’il y ait de la marge et qu’il y ait effectivement de la redistribution possible», a plaidé le patron de la fédé du bâtiment.
L’économiste Pierre Madec, quant à lui, rappelle qu’«il n’y a pas de recette magique». Mais il estime que «dans le programme du Nouveau Front populaire, la principale proposition qui permettrait de limiter la crise à court terme est la relance de la production du logement social». Sans toutefois s’attendre à miracle : «La construction de logements sociaux, ça ne se décrète pas». Ainsi, «le gouvernement s’était donné [en 2021] comme objectif de 250 000 constructions en deux ans, ils n’ont pas réussi».