Un accord qui ne fait pas l’unanimité au sein des Vingt-Sept. Le président américain Donald Trump a annoncé dimanche 27 juillet des droits de douane à 15 % pour tous les pays de l’Union européenne. Mais ceux-ci, plus ou moins exportateurs, ne seront pas pénalisés de la même façon quand la mesure entrera en vigueur le 1er août.
En valeur, c’est de loin l’Allemagne qui exporte le plus de marchandises vers les Etats-Unis, pour un montant de 137,9 milliards d’euros en 2024, suivie par l’Irlande et l’Italie, respectivement 61,6 et 54,8 milliards d’euros, selon des données Eurostat. La France est moins exposée, mais les champions de l’agroalimentaire et du luxe seront particulièrement touchés.
L’UE dans son ensemble a dégagé un excédent commercial vis-à-vis des Etats-Unis de 201,5 milliards d’euros en 2024, selon le Bureau d’analyse économique (BEA) américain. Seule la Chine affiche un montant supérieur.
Mais cet accord trouvé par la présidente de la Commission européenne crée de vives dissensions entre les dirigeants des pays membres. Certains s’en félicitent, comme l’Allemagne et l’Italie, tandis que d’autres comme la France et la Hongrie montent au créneau. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a par exemple vivement critiqué ce deal affirmant que Donald Trump «a mangé Ursula von der Leyen au petit déjeuner», alors que le Premier ministre espagnol a affirmé ce lundi 28 juillet qu’il «soutenait l’accord commercial» conclu la veille mais «sans aucun enthousiasme».
L’Allemagne souhaite sauver son industrie automobile
Première économie de l’UE, l’Allemagne a dégagé en 2024 un excédent commercial record avec les Etats-Unis atteignant 72,6 milliards d’euros. Les Etats-Unis absorbent à eux seuls 10,5 % des exportations allemandes, selon l’office de statistiques allemand Destatis. Les Américains se montrent friands des marques automobiles allemandes, mais aussi de machines-outils et de produits pharmaceutiques «Made in Germany».
Les Etats-Unis ont représenté l’an dernier le premier débouché des véhicules exportés d’Allemagne (13,1 %), même si bon nombre de constructeurs allemands ont des usines implantées de l’autre côté de l’Atlantique où ils produisent pour le marché américain. Ces derniers se sont montrés très critiques envers l’accord conclu avec le président américain estimant que cette taxe va grandement peser sur leurs résultats. «Les droits de douane américains de 15 %, qui s’appliquent également aux produits automobiles, coûteront des milliards chaque année aux entreprises automobiles allemandes», a déclaré Hildegard Mueller, présidente de la fédération des constructeurs automobiles allemands VDA. Le lobby européen des constructeurs automobiles (ACEA) a tout de même salué une «désescalade» bienvenue dans un contexte de «grave incertitude».
Analyse
La banque centrale allemande a averti en début d’année que l’imposition de droits de douane américains sur les produits allemands pourrait réduire de 1 % le produit intérieur brut du pays. Cela n’a pas empêché le chancelier allemand, Friedrich Merz, de défendre l’accord commercial de dimanche. Ce deal à l’arraché permet selon lui d’«éviter une escalade inutile dans les relations commerciales transatlantiques».
«Nous avons pu préserver nos intérêts fondamentaux, même si j’aurais souhaité davantage d’allègements dans le commerce transatlantique», a-t-il ajouté, se disant notamment soulagé pour l’industrie automobile «où les droits de douane actuels, qui s’élèvent à 27,5 %, seront presque divisés par deux, passant à 15 %». «C’est précisément dans ce domaine que la réduction rapide des droits de douane revêt une importance capitale», selon le dirigeant de la première économie européenne.
L’Irlande espère garder sa place stratégique
L’Irlande enregistre l’excédent commercial le plus large des membres de l’UE avec 74,3 milliards d’euros en valeur. C’est aux Etats-Unis que l’Irlande exporte plus du quart de ses produits. Cela s’explique notamment par l’implantation en Irlande de grands groupes américains, notamment pharmaceutiques, comme Pfizer, Eli Lilly ou Johnson & Johnson qui se sont installés dans ce pays d’Europe pour y bénéficier d’un impôt à 15 % sur les grandes sociétés, contre 21 % aux Etats-Unis.
Ces sociétés peuvent ainsi héberger leurs brevets en Irlande et vendre sur le marché américain, où les prix des médicaments sont traditionnellement plus élevés que dans le reste du monde. Donald Trump a précisé dimanche que le secteur pharmaceutique ne bénéficierait pas d’un traitement particulier. L’Irlande accueille par ailleurs sur son sol la plupart des sièges européens des géants américains de la «tech», comme Apple, Google ou Meta, également séduits par la fiscalité irlandaise attractive.
Le gouvernement irlandais a expliqué dans un communiqué «regretter» le nouveau taux, mais s’est félicité qu’il apporte «une forme de certitude nécessaire» après des mois d’annonces et menaces tous azimuts dans les relations commerciales.
L’Italie et la France, dans le même bateau
L’Italie et la France, avec respectivement un excédent commercial de 37,7 milliards d’euros et 14 milliards d’euros selon les Américains, seraient vraisemblablement moins touchées. Toutefois, l’impact varie d’un secteur d’activité à l’autre au sein de chacune de ces deux économies.
L’agroalimentaire et les produits viticoles en particulier seraient affectés dans les deux pays. Les Américains ont l’habitude de consommer des produits «Made in France» et «Made in Italy» mais pourraient en raffoler nettement moins si les prix grimpent pour tenir compte des droits de douane. Le secteur du luxe est également très exposé à une baisse des ventes.
Pour le numéro un mondial du luxe LVMH, un droit de douane de 15 % «serait un bon résultat», avait fait savoir le groupe jeudi dernier en publiant ses résultats semestriels, marqués par une chute du bénéfice net et des ventes. Le géant français pense pouvoir compenser en augmentant ses prix et en optimisant sa production, notamment aux Etats-Unis.
Tribune
La cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni, a défendu l’accord qui évite, selon elle, «une guerre commerciale au sein de l’Occident avec des conséquences imprévisibles», dans un communiqué commun avec ses vice-Premiers ministres, Antonio Tajani et Matteo Salvini. La Présidente du conseil des ministres attend tout de même de voir les détails pour «formuler un jugement meilleur» et espère voir des exemptions «en particulier sur certains produits agricoles».
En France, les réactions du gouvernement ont été bien moins chaleureuses. François Bayrou a dénoncé ce lundi «un jour sombre» où «une alliance de peuples libres, rassemblés pour affirmer leurs valeurs et défendre leurs intérêts, se résout à la soumission». Le ministre de l’Europe, Benjamin Haddad, a jugé sur X que «l’accord commercial négocié par la Commission européenne avec les Etats-Unis apportera une stabilité temporaire aux acteurs économiques menacés par l’escalade douanière américaine, mais il est déséquilibré». Un gouvernement qui semble ne pas vouloir en rester là, alors que le ministre délégué au Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin, appelle à un «rééquilibrage» et assure que «la messe ne doit pas être dite».