L’équivalent de deux petits films par semaine. Dans une tribune parue dans le Figaro lundi 18 mars, l’ancienne ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem déroule le tapis rouge à une proposition qu’elle qualifie de «progressiste» : rationner Internet. Fake news, surexposition aux écrans, cyberharcèlement… La mesure, estime-t-elle, endiguerait toute une palette de maux de notre société. «Tous les grands sujets, écologie, discrimination, inégalités, harcèlement, éducation, savoirs et cultures, sont liés à internet. Ce dernier y est moins souvent une solution qu’un facteur aggravant», assure-t-elle. Et pour ce faire, elle évoque au fil de son argumentaire une limite chiffrée : celle de 3 Go par semaine. Soit 12 par mois. Mais concrètement, que peut-on faire avec ça ?
«Si nous savons que nous n’avons que trois gigas à utiliser sur une semaine, nous n’allons sans doute pas les passer à mettre des commentaires haineux ou fabriquer des fakes. Peut-être cesserons-nous de considérer comme normal de passer plusieurs heures sur des sites pornographiques à regarder des vidéos en ultra HD», défend-t-elle. Tout en concédant qu’un «travail collectif de grande ampleur» reste de mise pour rendre cette mesure réaliste, elle assure que «bien des activités que nous avons pris l’habitude de faire en ligne, peuvent aussi se faire sans». Y compris le code informatique qui, assure-t-elle, peut s’effectuer «sans ordinateur, avec un crayon et un papier».
Reportage
Pour se donner un ordre de grandeur : l’Autorité de régulation des communications (Arcep) estime que les internautes français consomment en moyenne 14 Go par mois… uniquement sur leur mobile. Sur la box fibre, ils se situent plutôt aux alentours des 222 Go en 2022. Dans le détail, le nombre de gigaoctets consommés varie surtout en fonction des activités pratiquées en ligne et de la qualité du contenu consulté. SFR avance que 3 Go permettraient ainsi d’envoyer 75 emails par jour, dont quelques-uns contenant des pièces jointes. Ou de naviguer environ 3 heures sur Internet au quotidien.
Toutefois, ce rationnement limiterait à 4 heures mensuelles l’écoute de musique. Et à 5 heures par mois le visionnage de vidéos en haute qualité. La plateforme de streaming Netflix précise de son côté davantage les chiffres : en qualité standard, une heure de vidéo représenterait 0,7 Go. En haute définition, l’estimation passe à 3 Go. Autrement dit, avec la proposition de l’ancienne ministre, les Français ne pourraient regarder que la moitié de Shutter Island en bonne qualité avant d’attendre une longue semaine pour découvrir la fin.
«Une approche manichéenne et hors-sol»
Sur X (ex-Twitter), l’idée de l’ancienne ministre de François Hollande fait bondir la secrétaire d’État chargée du Numérique, Marina Ferrari. «Rationner autoritairement internet ? Probablement la pire manière d’aborder le débat sur notre rapport aux écrans», s’indigne-t-elle. Avant d’ajouter : «Traiter les risques mérite tellement mieux qu’une approche manichéenne et hors-sol de l’espace numérique dont les usages sont aussi nombreux que les usagers». Même agacement du côté du député LREM Eric Bothorel qui déplore une tribune mélangeant «poncifs, approximations et erreurs manifestes». Notamment l’idée que ce rationnement permettrait de «faire face à l’une des grandes sources de pollution», comme l’écrit l’ancienne ministre.
Rationner autoritairement lnternet ?
— Marina Ferrari (@FerrariMarina73) March 18, 2024
Probablement la pire manière d’aborder le débat sur notre rapport aux écrans.
Traiter les risques mérite tellement mieux qu’une approche manichéenne et hors-sol de l’espace numérique dont les usages sont aussi nombreux que les usagers. https://t.co/8YMCHCvxcA
Sur ce point, Eric Bothorel relève plutôt que l’empreinte environnementale du numérique dépend «des terminaux et leur possession, loin devant les usages». Un argument aussi défendu par l’Agence de la transition écologique (Ademe) qui estime que 78 % de cette empreinte seraient dus à la fabrication de télévisions, ordinateurs, tablettes et smartphones. A l’inverse, selon cette même source, 3 heures de streaming en haute définition (qu’elle dit correspondre à 3 Go en 2022) ne représenteraient que l’équivalent de la pollution générée par 150 mètres de trajet en voiture. Pour atteindre le kilomètre et demi, il faudrait donc engloutir 30 heures de films et de série.
Devant le tollé de sa proposition, Najat Vallaud-Belkacem a depuis pris du recul sur le chiffre des 3 Go. Elle appelle ses lecteurs à «ne pas se focaliser sur le nombre de gigas. Si vous m’avez lue, ce n’est pas ce que je propose, c’est une simple illustration». Surtout, d’après l’ex-ministre ayant - pour rappel - scellé un partenariat entre Microsoft et l’Education nationale en 2015, sa proposition n’est pas «une attaque sur la liberté d’expression» mais une défense «face à une aliénation». «L’idée c’est précisément de se déconnecter un peu», écrit-elle. Sur X.