L’expérience aura-t-elle fait office de voyage initiatique pour le milliardaire ? Ce lundi 22 janvier, à l’occasion d’une conférence en compagnie de hauts responsables européens sur la montée de l’antisémitisme organisée en Pologne par l’Association juive européenne, le propriétaire de X (ex-Twitter), Elon Musk s’est rendu à Auschwitz. Il a notamment déposé une couronne de fleurs et participé à un service commémoratif. Cette visite du camp de concentration était appelée en septembre des vœux du président de l’association en charge de l’événement, le rabbin Menachem Margolin. «Pour saisir véritablement la profondeur des horreurs de l’antisémitisme […], une visite à Auschwitz est une expérience nécessaire», avait-il estimé. Plutôt utile pour un homme d’affaires ayant été à plusieurs reprises taxé d’antisémitisme ces derniers mois.
Pas plus tard qu’en novembre, Elon Musk s’est même attiré les foudres de la Maison Blanche. Reprenant un tweet complotiste dans lequel un internaute affirmait que les Juifs poussent à la haine des Blancs, le patron de Tesla félicitait : «Vous avez dit la vérité». De quoi provoquer un tollé et indigner le porte-parole de la Maison Blanche, Andrew Bates, qui répliquait : «Nous condamnons dans les termes les plus forts cette odieuse promotion de la haine antisémite et raciste». Le quinquagénaire avait fini par s’excuser en qualifiant sa réponse de «littéralement le pire message et le plus stupide» qu’il ait jamais fait.
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Autre sujet sensible : sa gestion calamiteuse des messages haineux sur sa plateforme. Depuis le rachat de X en octobre 2022 pour quelque 44 milliards de dollars, Elon Musk prône un discours libertarien, se décrivant comme un fervent défenseur d’une «liberté d’expression absolue». Conséquence : le patron a évincé une très large partie des modérateurs du site. Ce qui a pour effet de faire sauter des digues concernant la haine en ligne sur X. Dans une étude parue en septembre, l’Anti-Defamation League (ADL), un groupe de défense juif, agitait un pourcentage stupéfiant. Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le 7 octobre, les messages à caractère antisémites auraient augmenté de 919 % sur le réseau. Loin de se remettre en question, Elon Musk a bien plutôt accusé l’association d’œuvrer à la fuite galopante des annonceurs de son réseau et l’a menacée de porter plainte.
Le musée d’Auschwitz aussi s’est attaqué à certaines décisions de l’entrepreneur. En août, tandis que le milliardaire caressait l’idée de limiter la possibilité de bloquer des internautes sur son site, l’institution s’était indignée. «Le blocage constitue un moyen de protéger la mémoire de ceux qui ont souffert et ont été tués à Auschwitz», avait-elle dénoncé sur X, en repartageant une série de messages négationnistes qu’elle avait reçue. Un million de Juifs européens sont morts dans le camp construit par l’Allemagne nazie en Pologne occupée entre 1940 et 1945, aux côtés de plus de 100 000 non-Juifs.
Tournée d’excuses
Autant de points qui auraient pu être abordés lors de l’interview d’Elon Musk ayant suivi sa visite d’Auschwitz ce lundi après-midi. Mais qui ont été méticuleusement contournés par son interlocuteur, l’éditorialiste ultraconservateur Ben Shapiro. L’Association juive européenne annonçait pourtant une conversation sur «la montée astronomique de l’antisémitisme». En Europe comme dans le cyberespace. Le journaliste américain, visiblement plus intéressé par la position du milliardaire sur le retour de la notion de «mérite» dans les universités et de «valeurs» communes en Occident, n’a finalement fait qu’effleurer la thématique. Les tweets polémiques de novembre du milliardaire, flirtant avec le complotisme antisémite ? Oubliés. «Les médias ont essayé de vous dépeindre – ainsi que X – comme antisémite», se contente-t-il d’esquiver avec complaisance. «C’est parce que X représente un concurrent à leurs yeux», rétorque Elon Musk.
Très peu de précisions exigées aussi quant au traitement par le réseau social des propos appelant à la haine. A la place, Elon Musk se félicite de la libre circulation sur sa plateforme d’images violentes de l’attaque terroriste du 7 octobre menée par le Hamas. «Les gens doivent pouvoir voir la véritable horreur s’ils veulent la voir», argumente le patron. Avant d’estimer que l’utilisation des «Community Notes» – permettant aux internautes d’ajouter du contexte à une publication et de signaler des informations erronées – aide à lutter contre d’éventuels tweets négationnistes. Enfin, concernant la guerre au Proche-Orient dans laquelle plus de 20 000 Palestiniens et 1 200 Israéliens sont morts, l’entrepreneur tech a à plusieurs reprises insinué sans jamais vraiment trancher : «Nous devons nous débarrasser de cette règle qui dit que la partie la plus faible a forcément raison.»
En assurant avec cette visite lutter contre l’antisémitisme lui aussi, le milliardaire – habitué aux pirouettes opportunistes en matière de géopolitique – tente-t-il de sauver son image (et rattraper ses annonceurs en fuite) ? En novembre, peu après s’être fait taper sur les doigts par la Maison Blanche, le fondateur de SpaceX s’était rendu en Israël. Un pur hasard du calendrier et non une «tournée d’excuses» s’était défendu le chef d’entreprise en expliquant avoir planifié le voyage plus tôt. La figure de proue d’Israël, le président Isaac Herzog, avait alors insisté auprès du magnat de la technologie sur le «un rôle énorme» qu’il avait à jouer dans la lutte contre la haine des juifs. Quelques semaines auparavant, le milliardaire s’était même défendu d’être antisémite. Son argument ? «En fait, je suis allé à l’école maternelle hébraïque… Je ne sais pas si je suis génétiquement juif, peut-être quelque part, mais je dirais que j’ai des aspirations juives».