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Libération
Reportage

Au salon Viva Tech, l’intelligence artificielle jusqu’au superficiel ?

Alors qu’Emmanuel Macro réunissait le 21 mai, 600 acteurs du secteur high-tech à l’Elysée et annonçait la création prochaine d’un fonds dédié à l’intelligence artificielle, visite dans les allées du salon parisien dédié aux nouvelles technologies et à l’IA... sous toutes ses formes.
Au salon Viva Tech, à Paris le 22 mai. Autour de la thématique de l’intelligence artificielle, l'événement à connu une affluence record avec 165 000 visiteurs. (Denis Allard/Libération)
publié le 26 mai 2024 à 18h44

«VivaTech, c’est comme le salon de l’Agriculture, glisse un entrepreneur, sauf qu’ici on ne caresse pas des vaches mais des startupeurs.» La comparaison fonctionne d’autant plus que l’événement dédié aux nouvelles technologies se déroulait, lui aussi, au Parc des expositions de la porte de Versailles, à Paris. Et pour son édition 2024, le salon à connu une affluence record, selon un communiqué, avec 165 000 visiteurs rassemblés du 22 au 25 juin autour de la thématique de l’intelligence artificielle. Dans les allées du salon, impossible de faire deux pas sans découvrir un stand développé grâce à l’IA. De la Poste à la région Nouvelle-Aquitaine, de la micro start-up au groupe LVMH, ici, chacun y va de son IA. Jusqu’à installer une «AI Avenue» spécialement dédiée et qui occupe une bonne partie de l’immense hall 1.

Hors de l’avenue, une table de ping-pong connectée informe sur le nombre de coups droits, de revers et sur la vitesse à laquelle va la balle, avant de donner quelques conseils pour améliorer son jeu en fin de match. On y croise des robots humanoïdes tantôt laids, tantôt lents ; un outil de beauty tech de chez l’Oréal pour mesurer la santé et la couleur des cheveux ; Simone, l’avatar de la SNCF, dotée de la voix historique de la compagnie, Simone Hérault ; mais aussi d’autres «innovations» qui ont des airs de filtres vidéo Snapchat, qui permet – depuis des années – de transformer son visage à coups de réalité augmentée.

«Quand on n’intègre pas d’IA dans nos projets, on trouve moins d’argent»

Mais qui se cachent derrière les start-up «IA» ? Parmi ses nouveaux adeptes, certains décrivent l’intégralité de leur projet sans parler d’intelligence artificielle, comme s’ils l’avaient oublié. A la fin d’une longue présentation, une société spécialisée dans l’événementiel en réalité virtuelle explique finalement que, oui‚ «après coup, une IA propose un compte rendu avec des pistes d’améliorations de l’événement». Ailleurs, une plateforme d’IA «chasseuse de têtes» offre de remplacer une partie du travail de RH en analysant automatiquement les CV des candidats, puis de mener une «préinterview» pour «prémâcher le travail des recruteurs». Froncement de sourcil. «Un peu à la manière d’un ChatGPT, est-il finalement précisé. Mais innovant». Nous voilà rassurés. Plus loin, une entreprise spécialisée dans la vidéo vend son logiciel comme «simple, complet, créatif + sublimé par l’IA».

Un engouement pour l’intelligence artificielle souvent lié à des enjeux financiers, comme l’explique Mamadou Diagne, fondateur de l’application touristique et culturelle City Hub qui ne comptait intégrer une IA à son produit qu’à partir de 2026 – afin de personnaliser ses recommandations d’activités à ses usagers – et qui a décidé de la développer plus rapidement : «On est en pleine campagne de recherche de fonds, et quand on n’intègre pas d’IA dans nos projets, on se retrouve un peu à être le parent pauvre, et on trouve moins facilement d’argent. On s’est donc dit qu’on allait l’intégrer à notre plateforme pour recevoir un écho favorable des différents partenaires et investisseurs»… dans un écosystème start-up qui fonctionne à l’applaudimètre. «On est coachés par des partenaires aux Etats-Unis qui nous ont d’ailleurs suggéré de “rebrander” notre projet avec l’intelligence artificielle, poursuit Mamadou Diagne, «parce que c’est la tendance dans l’investissement.» Comme la blockchain avant elle, et les réseaux sociaux plus tôt encore, quand tout le monde voulait créer le nouveau Facebook. L’entrepreneur admet néanmoins être «circonspect sur la manière dont l’IA capte toute l’attention».

Un constat que fait aussi Dina Falk, cocréatrice de l’application de découverte des quartiers parisiens Audio Guide Paris… sans intelligence artificielle. Sans être réfractaire à l’IA et intéressée par son utilisation, elle souhaite pour l’instant conserver une dimension humaine à son appli. «Quand on visite un endroit, on veut offrir une expérience vraiment humaine, alors c’est ce qu’on propose sur notre application en faisant tout nous-mêmes, abonde un collaborateur. Il y a un côté fantasme avec l’IA, beaucoup de gens sont venus nous démarcher pour nous vendre la leur. Mais on s’est dit qu’il y en avait déjà assez.»

La France prête à investir

Il est vrai que «l’IA, c’est un vent de folie» pour les investisseurs, fascinés par l’envolée en Bourse des grands acteurs de l’IA, souligne le patron d’un grand fonds d’investissement français. Mardi, en réunissant 600 acteurs du secteur high-tech à l’Elysée, Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé avant la fin de l’année la création d’un fonds dédié à l’IA, souscrit à un quart par l’Etat. Difficile cependant pour les fonds français de rivaliser avec les poches profondes des financeurs américains. Ce sont eux qui ont donné de gros moyens aux deux pépites françaises de l’IA : Mistral AI, créée par trois anciens de Google et Meta (Facebook), qui a déjà levé auprès de fonds américains quelque 500 millions de dollars, et sa nouvelle sa rivale H (comme Holistic), elle aussi créée par des ingénieurs français venus de Google, qui a dévoilé mardi une spectaculaire première levée de fonds de 220 millions de dollars, auprès de Bernard Arnault, Xavier Niel et Amazon.

Mercredi, un Bruno Le Maire tout juste «débarqué de l’avion depuis Abou Dhabi» avait pris la parole sur le «stage one» du salon. Le ministre de l’Economie a fait la promotion d’une France vue comme «the place to be» aux Emirats arabes unis en matière d’IA, cette révolution «comme on en voit une seule tous les deux ou trois siècles». Et pour que l’Europe, et surtout la France, soient encore plus des terres d’intelligence artificielle, Bruno Le Maire a annoncé vouloir offrir aux entreprises les fonds dont elles ont besoin, prônant «l’innovation avant la régulation». «Vous avez besoin d’argent, nous le trouverons», récapitulait le ministre, «car nous ne voulons pas financer des start-up qui finissent par partir à l’étranger» face à des pays qui rémunéreraient mieux leurs experts. Preuve de son ambition dans ce domaine, Emmanuel Macron a annoncé que la France organiserait un sommet mondial sur l’IA les 10 et 11 février 2025.