Menu
Libération
Guerre commerciale

Droits de douane : qu’est-ce que la taxe sur les services numériques américains qu’évoque la porte-parole du gouvernement ?

En réaction aux droits de douane supplémentaires imposés ce mercredi 2 avril à l’Union européenne par l’administration américaine, l’idée «d’attaquer les services numériques» américains fait son chemin. Une mesure qui pourrait avoir des répercussions sur le porte-monnaie des entreprises européennes.
(Yuichiro Chino/Getty Images)
publié le 3 avril 2025 à 12h54

Les géants du numérique américain dans le viseur de l’Union européenne ? Les Vingt-Sept se mettent en ordre de bataille pour répondre à l’imposition d’une taxe supplémentaire de 20 % sur tous les produits européens entrant aux Etats-Unis voulus par Donald Trump. Alors que les discussions entre Etats se poursuivent, la porte-parole du gouvernement français laisse la porte ouverte à une taxe sur les services numériques américains. «Il y a un deuxième jeu de riposte qui sera probablement prêt à la fin du mois d’avril sur l’ensemble des produits et des services», a annoncé Sophie Primas ce jeudi 3 avril sur RTL.

Une réponse qui reste en «cours de négociation entre les pays membres de l’Union européenne, a expliqué la porte-parole. Mais on va attaquer aussi les services. C’est par exemple les services numériques qui aujourd’hui ne sont pas taxés et qui pourraient l’être.» Des mesures qui pourraient aussi concerner «l’accès à nos marchés publics», selon Sophie Primas. «Tout est sur la table», a confirmé à Berlin le vice-chancelier allemand Robert Habeck.

Concrètement, les services numériques désignent à la fois les réseaux sociaux, les services de stockage du cloud ou encore les logiciels informatiques, comme Microsoft Office. Interrogée par Libération, Marianne Lumeau, enseignante-chercheuse à l’université de Rennes et spécialiste des questions de l’économie numérique, explique qu’une telle imposition pourrait se traduire par «une taxe supplémentaire sur la publicité en ligne, sur les prestations de mise en relation, c’est-à-dire sur les plateformes comme Amazon». La France a adopté en 2019 une taxe de 3 % sur ces services. «Mais cela pourrait potentiellement s’étendre au commerce en ligne, au service de cloud ou de messagerie», ajoute Marianne Lumeau.

«L’Europe a beaucoup de cartes en main»

Ce n’est pas la première fois que l’idée de taxer ce secteur est mise sur la table au niveau de l’UE, alors que les Gafam sont des grands spécialistes de l’optimisation fiscale et ne payent quasiment aucun impôt sur leurs bénéfices réalisés en Europe. Le 1er avril, le président du groupe du PPE (droite) au Parlement européen, Manfred Weber, assurait que si Donald Trump choisissait de taxer les produits du Vieux-Continent, «nous devrons nous concentrer sur les services numériques américains». «Nous avons un excédent sur les produits, mais les Etats-Unis ont un excédent sur les services numériques. Les géants du numérique paient peu pour notre infrastructure numérique, dont ils bénéficient tant», avait-il affirmé.

Dans un discours prononcé devant le Parlement européen mardi, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait aussi rapidement évoqué cette possibilité. «L’Europe a beaucoup de cartes en main. Du commerce au numérique, en passant par la taille de notre marché. Mais cette force repose également sur notre volonté de prendre des contre-mesures fermes. Tous les instruments sont sur la table», avait-elle assuré. Autre possibilité, l’Union européenne avait suspendu en 2021 un projet européen de redevance sur le numérique, appelé aussi «taxe Gafa». Une imposition qui pourrait, dans ce contexte, être remise au goût du jour. Le règlement européen sur les services numériques (DSA), ainsi que le règlement sur les marchés numériques (DMA), instaurés respectivement en 2022 et 2024 et qui visent à limiter la domination des géants de la tech dans l’Union pourraient également servir d’outil de rétorsion.

Néanmoins, peu importe ce que décide l’UE, «une augmentation des taxes viendrait se répercuter sur les consommateurs et sur les entreprises», prévient Marianne Lumeau. L’économiste rappelle que ces dernières «utilisent largement les services numériques des entreprises américaines qui dominent ce secteur». Une situation qui «pose quand même la question de la souveraineté et de la dépendance européenne», alors que l’Europe est le deuxième marché des services numériques après celui nord-américain. «On a quand même des services européens de qualité, mais qui sont très peu développés», note-t-elle. Cela sera peut-être l’occasion pour des entreprises françaises, comme la messagerie Treebal ou le service de cloud OVH, de se démarquer dans un milieu totalement dominé par la concurrence d’outre-Atlantique.