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Libération
La boulette

L’intelligence artificielle de Google se plante et offre sa revanche au mal-aimé Bing

Alors que la bataille des IA conversationnelles fait rage, le chatbot de Google, Bard, a répondu une énormité en plein milieu de sa promotion, mardi. De quoi faire perdre des milliards au géant et donner l’avantage à son concurrent longtemps moqué de Microsoft.
A cause de la boulette de son intelligence artificielle, Google a perdu 100 milliards de dollars en Bourse. (Richard Newstead/Getty Images)
publié le 9 février 2023 à 17h54

En langage de geek, c’est ce qu’on appelle la Search Wars. Comprendre : la guerre des moteurs de recherche. Dans le rôle de Luke Skywalker, on trouve Google. Dans celui de Dark Vador : Bing. Oui, Bing. Ce produit porté par la société Microsoft devant lequel on poussait jusqu’ici un long soupir lorsqu’il s’immisçait sur notre ordinateur. On le pensait perdu, terrassé depuis longtemps par son concurrent au 1,17 milliard d’utilisateurs. Et pourtant. L’Etoile de la mort est en train de renaître, poussée par l’intelligence artificielle et une jolie boulette de Google.

Tout se déroule mardi. Secoué depuis le mois de novembre par la sortie remarquée de ChatGPT, le robot conversationnel d’OpenAI capable de résumer des théorèmes mathématiques et de rédiger des histoires, Google dévoile son rival : Bard. Contrairement à ChatGPT, dont le savoir se borne à l’année 2021, ce chatbot sera connecté à Internet. Autrement dit : Bard – qui deviendra accessible au public dans les prochaines semaines – pourra parler de la victoire de l’Olympique de Marseille contre le Paris Saint-Germain en huitième de finale de la Coupe de France. Pas son compère. L’idée séduit et dans son élan promotionnel, Google tweete un gif afin de montrer les prouesses de son poulain. Et se prend une tempête de critiques.

L’IA en guise de stéroïdes

Sur l’image partagée, à la question «quelles sont les nouvelles découvertes du télescope spatial James Webb dont je peux parler à mon enfant de 9 ans ?», Bard répond, implacable, que le télescope «a pris les toutes premières images d’une planète en dehors de notre propre système solaire». Une aberration pour les fans et pros d’astronomie présents sur le réseau social. A l’image de l’astrophysicien Grant Tremblay : «Sans vouloir être un con – quoi que – et je suis sûr que Bard sera impressionnant, mais pour mémoire : le James Webb Space Telescope n’a pas pris “la toute première image d’une planète en dehors de notre système solaire”». Comme le confirme le site de la Nasa, l’oscar revient plutôt au Très Grand Télescope en 2004.

L’erreur entraîne des conséquences, elles aussi d’ordre astronomique : l’action de Google, qui oscillait autour de 106 dollars mardi, chute de plus de 8 % en une journée. Soit une perte de 100 milliards de dollars en Bourse pour le géant des Gafa, également explicable par la mollesse de sa conférence de présentation tenue mercredi. Mais, surtout, elle offre un avantage net à Microsoft qui, le jour même de la balourdise de son concurrent, effectue un sans-faute devant la presse américaine. Pour rappel, la multinationale – qui a annoncé le licenciement de 10 000 de ses employés – a investi 10 milliards de dollars, en janvier, dans OpenAI. Son projet ? Utiliser l’intelligence artificielle comme stéroïdes pour ses produits en quête de biscotos.

«Générateur de foutaises»

Le mal-aimé Bing – 3 % des parts de marché dans le monde contre 92 % pour Google – devrait ainsi d’ici plusieurs semaines proposer une fonctionnalité de «chat». A travers elle, l’internaute converserait avec ChatGPT qui, enfin relié à Internet, répondrait à ses questions en piochant sur différents sites Internet. Le navigateur web Edge, dont l’ancêtre Internet Explorer avait un temps fait l’objet des railleries du tout Internet pour sa lenteur légendaire, pourrait grâce à lui résumer des PDF. Le New York Times ne camoufle pas son enthousiasme : «Bing (oui, Bing) vient de rendre la recherche en ligne de nouveau intéressante..» En France, Numerama évoque carrément une «révolution».

Bing est devenu cool, Google passe pour un naze, l’inversion des pôles est palpable. Pour autant, ChatGPT aurait-il pu commettre la même erreur que Bard ? Libé a tenté de piéger l’IA en lui posant la même question sur le télescope James Webb. Mais la machine n’a pas fauté… pour cette fois. Car, comme le formule le professeur d’informatique à l’université de Princeton Arvind Narayanan auprès de Business Insider, ChatGPT peut, au même titre que Bard, faire office de «générateur de foutaises» en partageant sans discernement de fausses informations. Et avec un aplomb somme toute robotique.

De quoi remettre la balle au centre entre Google et Microsoft, dont la rivalité comporte une ironie. A l’image de Star Wars où le côté obscur de la Force n’est jamais bien loin, dans cette Search Wars les deux ennemis partagent aussi un semblant de lien de parenté. Transformer – le réseau de neurones artificiels utilisé par une autre IA d’OpenAI, GPT-3, et sur laquelle s’appuie ChatGPT – a été créé par DeepMind… une start-up de pointe appartenant à Google. Sous les traits de Dark Vador et entre deux respirations asthmatiques, le moteur de recherche pourrait-il avouer être le père de son – désormais – plus grand rival ?