Menu
Libération
Meta

Le cofondateur d’Instagram règle ses comptes avec Facebook : «Nous étions une menace pour leur croissance»

Lors du procès antitrust visant Meta aux Etats-Unis, le cofondateur d’Instagram Kevin Systrom a dépeint un Mark Zuckerberg jaloux et prêt à freiner le développement de son appli.
Le PDG d'Instagram, Kevin Systrom, s'exprime au siège social de Facebook lors d'un événement médiatique à Menlo Park, en Californie, le 20 juin 2013. (Josh Edelson/AFP)
publié le 23 avril 2025 à 19h12

Instagram avait-il besoin de Facebook pour briller ? Kevin Systrom, son cofondateur, n’en est vraiment - mais alors vraiment - pas certain. Depuis plus d’une semaine à Washington (Etats-Unis), la grande famille de Meta lave son linge sale en public au cours d’un procès historique. La maison mère de Facebook risque gros. Poursuivie par l’autorité américaine de la concurrence (FTC), elle pourrait perdre deux de ses plateformes à succès, Instagram et WhatsApp. Témoin clé dans cette affaire, Kevin Systrom est intervenu pendant plus de six heures mardi 22 avril. L’occasion de régler ses comptes avec Mark Zuckerberg.

Sa version de l’histoire est tragique : après avoir racheté Instagram en 2012, le PDG de Meta aurait tout fait pour freiner le succès du réseau social. Notamment en rechignant à fournir du cash à la plateforme. Dans des propos rapportés par le New York Times, l’entrepreneur de 41 ans raconte : «Mark n’investissait pas dans Instagram parce qu’il pensait que nous étions une menace pour sa croissance». Plus précisément, celle de Facebook. «En tant que fondateur de Facebook, la question de ‘quelle appli était la meilleure’ était un sujet sensible pour lui […] Je crois que les affects ont beaucoup joué», relève-t-il encore.

A l’époque de son rachat, Instagram est une jeune start-up, à peine âgée de deux ans. Son principe ? Grâce à des filtres pré-intégrés à l’appli, n’importe qui peut partager des images dignes d’un photographe professionnel. Ou presque. Le concept plaît : dès son premier jour, le réseau enregistre 25 000 inscriptions. En 2012, il franchit même le cap des quatre millions d’utilisateurs. Sur la table, Mark Zuckerberg met cette année-là un milliard de dollars pour le racheter. De nos jours, à l’heure où Meta doit à ce seul réseau un tiers de ses revenus, la somme semble dérisoire. Mais il y a plus de dix ans, comme le raconte le New York Times, le prix paraissait alors complètement hors norme.

Dans le détail, Kevin Systrom accuse le milliardaire de n’avoir par la suite pas fourni suffisamment de salariés à Instagram. Ce qui l’aurait amené à claquer la porte de la boîte avec Mike Krieger, l’autre cofondateur du réseau, en 2018. L’année de leur départ, l’appli comptait un milliard d’utilisateurs, soit 40 % de la taille de Facebook. Toutefois, seuls 1 000 employés contribuaient à huiler ses rouages… contre 35 000 pour son cousin plus choyé.

Facebook «cannibalisé» par Instagram

Le récit de Kevin Systrom donne du poids au dossier de la FTC. L’autorité accuse Meta d’avoir racheté WhatsApp et Instagram, autrefois des startups prometteuses, pour tuer toute concurrence dans l’œuf. Auprès de Libé, un ex-employé de WhatsApp tenait le même discours la semaine dernière : avant son acquisition, «WhatsApp avait un taux de croissance plus élevé que Facebook. Non seulement l’appli gagnait des utilisateurs plus vite, mais les gens y passaient aussi plus de temps que sur Instagram ou Facebook. Pour Meta, c’était un signal clair : nous étions un concurrent qui avait le potentiel de le perturber».

Dans le cas d’Instagram, la FTC s’appuie également sur des documents et mails internes échangés entre 2018 et 2022. Des pièces, consultées par Business Insider, mettant en lumière la difficile coexistence de l’appli avec Facebook. Pour Mark Zuckerberg, Instagram «cannibalisait» son invention. «L’application Facebook a historiquement fourni la plupart de sa croissance à Instagram […] Cela a contribué à un vent contraire pour Facebook dans la mesure où il a envoyé une partie de ses utilisateurs vers Instagram», se plaignait le PDG dans une lettre de 2018. Faire moins de pub à Insta, changer sa direction, en faire une filiale distincte… Dès lors, le PDG mettait plusieurs options sur la table pour rectifier le tir. Pas toujours favorables à la plateforme fondée par Kevin Systrom.

Face à ces éléments, Meta s’est défendu, évoquant des documents «hors contexte et vieux de plusieurs années». L’avocat de la multinationale Kevin Huff a par ailleurs argumenté que le rachat avait stimulé la croissance d’Instagram en ajoutant «beaucoup, beaucoup plus» de fonctionnalités. A l’image des désormais iconiques stories, des directs et des vidéos. Plus nuancé, Kevin Systrom a reconnu que, sans Facebook, Instagram aurait peut-être évolué moins vite qu’aujourd’hui. Toutefois, il n’en démord pas : peu importe à quelle vitesse, sans Mark Zuckerberg, son bébé aurait continué de grandir. Et serait devenu tout aussi populaire.