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Libération
Ecran bleu

Panne informatique mondiale : Microsoft, une longue histoire de bugs et de couacs

Si la responsabilité du géant américain dans la panne mondiale de ce vendredi 19 juillet semble écartée, l’incident s’ajoute à une longue liste de dysfonctionnements et cyberattaques depuis sa création. Et soulève une question : la multinationale est-elle «too big not to bug» ?
Un ordinateur en rade à la gare de Back Bay, à Boston (Massachusetts), le 19 juillet 2024. (Jason Bergman/Sipa)
publié le 19 juillet 2024 à 20h56

La mort a une couleur : le bleu. Du moins, chez Microsoft. Dès le 20 avril 1998, le présage était là. A cette époque, l’entreprise de logiciels s’est imposée depuis quelques années déjà dans le secteur des systèmes d’exploitation. La main sur le menton, le fondateur, Bill Gates, observe avec amusement son assistant Chris Capossela brancher tant bien que mal un scanner devant le public d’une conférence. Le jour est important, puisque les deux hommes présentent leur nouveau produit, Windows 98. Quand soudain : «Owwwwww», lâche Chris Capossela, avec embarras. La foule s’esclaffe. Devant elle, un écran bleu rempli de messages d’erreurs scintille. Son nom : l’«écran bleu de la mort».

Chez les geeks, le surnom, spécialement utilisé pour des erreurs Windows, est connu. A tel point qu’il a le droit à son propre diminutif : BSOD pour «Blue Screen of Death». Et ce vendredi 19 juillet, ce BSOD a saturé les écrans du monde entier. Des aéroports comme celui de Berlin se sont retrouvés un temps paralysés. La chaîne de télévision TF1 ne pouvait plus afficher ses cartes météo, 30 % des McDonald’s japonais ont été contraints de fermer leurs portes, incapables de prendre de nouvelles commandes… Dans le chaos germent parfois de petits bonheurs : empêchées de travailler, des dizaines de salariés ont remercié le géant américain de leur offrir un jour off.

Mais Microsoft est-elle vraiment l’entreprise à féliciter – ou à maudire ? Contactée par Libération, la boîte évoque un problème affectant ses produits «du fait d’une mise à jour d’une plateforme logicielle tierce». La plateforme en question ? CrowdStrike, un antivirus utilisé par le géant, qui explique que le problème proviendrait d’un «défaut» trouvé dans «une mise à jour de contenu». Ouf. Les ingénieurs de Microsoft peuvent souffler : aucun n’aura à porter le chapeau pour la zizanie mondiale. Pour autant, une leçon est peut-être à retenir pour la société aux plus de 60 milliards de dollars de chiffre d’affaires (d’octobre à décembre 2023). Parfois jugée «too big to fail», la multinationale est aussi peut-être «too big not to bug».

Amour toxique

L’application de visioconférence Teams en sous-tension. Des données perdues après des mises à jour Windows. Ou des gamers empêchés de se connecter au service de jeux en ligne Xbox Live. Du petit couac qui ralentit la machine au gros bug qui la court-circuite, en passant par la cyberattaque qui la paralyse, les pannes – de son fait ou non – parsèment depuis ses origines l’histoire de la boîte de Bill Gates. Presque aussi nombreuses que ses succès.

De mémoire d’ingénieur en informatique, Stéphane Bortzmeyer se rappelle d’abord du célèbre virus «I love You», au début des années 2000. Ce «ver» avait contaminé des millions de machines en l’espace de quelques jours par le biais de mails envoyés principalement sur Outlook – la boîte mail de Microsoft – avec pour objet un fichier infecté au nom diaboliquement incitatif : «LOVE-LETTER-FOR-YOU. txt.vbs» Au total, les dommages avaient été évalués à 10 milliards de dollars. La somme est impressionnante. Mais, avec le recul, Stéphane Bortzmeyer relativise : «Ça aurait pu être pire aujourd’hui. A cette époque, pas mal de boîtes n’utilisaient l’informatique que pour la bureautique, pour écrire des textes ou remplir des fichiers Excel. Tout n’avait pas été informatisé», rappelle-t-il.

Pas comme en 2017, où claviers et souris avaient creusé leur trou dans moult secteurs. Hôpitaux, entreprises, agences gouvernementales… Cette année-là, des interruptions de services avaient été déplorées dans 150 pays différents après le passage d’un logiciel malveillant au nom bien porté : WannaCry. Les données de plus de 200 000 ordinateurs avaient été prises en otage. Et des rançons de quelques centaines de dollars étaient exigées pour les libérer. Pour réaliser ce casse informatique, les malfrats n’avaient eu qu’à exploiter une vulnérabilité présente dans d’anciens systèmes Windows.

Microsoft power

Pas toujours besoin de l’organisation mondiale du cybercrime pour que le géant de l’informatique se prenne les pieds dans le tapis. Problème de mise à jour, de réseau, maintenance… Parfois, il suffit d’une année bissextile pour tout enrayer. En 2012, le service cloud Windows Azure s’était ainsi retrouvé indisponible pendant plusieurs heures. Le bug provenait d’une sombre histoire de mauvais calcul de date liée au 29 février 2012. En 2014, le Washington Post évoquait un bug sur Outlook forçant «les entreprises à revenir aux années 80» et à devoir (horreur !) répondre au téléphone. Ou pire : les employés ont été obligés de se lever pour parler à leurs collègues. En février 2020, c’était l’outil de visioconférence Teams qui, l’espace de quelques heures, rendait un peu de son âme. La faute à un certificat d’authentification de son produit que Microsoft avait oublié de renouveler.

Une explication à ce palmarès de la lose : «Plus c’est gros, plus ça bugue», résume Stéphane Bortzmeyer. Or le gros, c’est la clé du succès de Microsoft. D’année en année, la société a diversifié ses activités, empilant systèmes d’exploitation, services cloud, applications d’entreprise comme Word, réseaux sociaux avec LinkedIn, jeux vidéo avec Xbox et moteurs de recherche tels que Bing. «Si on veut faire du logiciel sans bug, on fait beaucoup moins de logiciels», poursuit l’ingénieur. La raison : s’assurer de la sécurité d’un programme, cela demande du temps. «La productivité des programmeurs chute parce qu’ils passent beaucoup plus de temps à vérifier qu’à programmer. Or les pressions du marché – qui sont en partie la faute de Microsoft, mais pas seulement – c’est qu’au contraire, il faut toujours des nouveautés», estime le spécialiste.

Autre souci corrélé : la position ultradominante de Microsoft. D’après le média spécialisé en numérique BDM, en octobre 2023, la multinationale représentait 68,8 % du marché des systèmes d’exploitation. Windows 11, lui, comptait 400 millions d’utilisateurs, rapporte le site spécialisé Phonandroid. «Un système d’exploitation, c’est ce qui est entre le matériel et les applications», éclaire Stéphane Bortzmeyer. Et qui donc permet à l’humain de faire fonctionner ces dernières. Problème : le système se mord la queue puisque certains outils ne fonctionnent parfois que sur Windows et impose de l’acheter. «Dans un aéroport, ce sont des logiciels qui gèrent les flux de voyageurs et de passages des avions qui sont développés pour tourner sur Windows. Dans les hôpitaux, il y a du matériel qui ne marche que sur Windows, comme des systèmes pour passer des IRM…» liste-t-il. Ministères, services d’ordre, écoles… Autant de domaines dans lesquels Windows a parfois la mainmise. Et qui, si le colosse aux pieds d’argile vacille, vacillent avec lui. Problème : le géant a, ces derniers mois, trouvé une nouvelle lubie dans laquelle il investit des milliards, l’intelligence artificielle. De quoi nouer davantage l’estomac de Stéphane Bortzmeyer : «Avec l’IA, ça sera encore plus n’importe quoi.»