Apple a-t-il poussé le bouchon un peu trop loin ? Dans une décision inédite et cinglante, une juge fédérale d’Oakland (Californie), Yvonne Gonzalez Rogers, accuse mercredi 30 avril la multinationale américaine de ne pas s’être pliée à son verdict rendu plus de trois ans auparavant. En septembre 2021, la magistrate avait exigé que l’entreprise ouvre les iPhones à d’autres boutiques d’applications que l’App Store (la sienne). Or, d’après elle, Apple aurait tenté de les duper en faisant semblant de se conformer aux règles. Conséquence : elle prend une série de mesures historiques, marquant la fin d’une époque de toute-puissance pour la boîte.
Pour rappel, Yvonne Gonzalez Rogers avait en 2021 estimé que la firme à la pomme ne pouvait plus imposer aux éditeurs d’applis de passer par l’App Store ainsi que par son système de paiement. Ce jugement résultait d’une procédure longue et musclée entamée par l’éditeur de jeux vidéo Epic Games, créateur notamment du jeu Fortnite, qui accusait le groupe de Cupertino (Californie) d’abus de position dominante. En l’occurrence, la multinationale profitait de sa situation en imposant, selon lui, des frais de commission bien trop élevés, à hauteur de 30 %.
Décryptage
Or, plus de trois ans plus tard, le constat est amer : Apple aurait pris les juges américains pour des truffes. D’après la juge, l’entreprise «a choisi de ne pas se plier à l’injonction de cette cour». Comment ? En créant «de nouvelles barrières anticoncurrentielles pour préserver une précieuse source de revenus». En l’occurrence, en mettant en place une nouvelle commission pour les transactions réalisées hors de sa boutique (à hauteur de 27 %) qui n’existait pas auparavant. Toujours selon la magistrate, la société a usé de messages et d’outils techniques pour «dissuader les usagers de réaliser leurs achats autrement» que sur l’App Store.
Yvonne Gonzalez Rogers affirme que le patron d’Apple, Tim Cook, est passé outre les conseils d’un cadre historique du groupe, Phil Schiller, qui suggérait d’appliquer les termes du jugement. Elle accuse aussi un cadre du service finances d’Apple d’avoir menti au tribunal alors qu’il était auditionné sous serment.
Par conséquent, dans sa décision, elle tape fort. Ne laissant plus de seconde chance à Apple, elle lui ordonne de ne plus prélever aucune commission sur les transactions réalisées hors de sa boutique d’applications. Une pratique qui constituait jusqu’ici un des piliers de son modèle économique. Elle lui intime également de ne plus envoyer de message aux usagers qui souhaitent passer par une boutique ou une application tierce, sauf pour leur indiquer qu’ils ne passent pas par l’App Store.
Poursuites pénales
Sur la base de ses constatations, Yvonne Gonzalez Rogers va effectuer un signalement auprès du procureur fédéral de Californie du Nord, Patrick Robbins, afin qu’il détermine si des poursuites pénales doivent être engagées contre Apple. «Le fait qu’Apple ait pensé que ce tribunal tolérerait une telle insubordination était une grave erreur de calcul», déclare Yvonne Gonzalez Rogers.
«Nous sommes en désaccord profond avec cette décision», a indiqué à l’AFP une porte-parole d’Apple. Avant d’indiquer : «Nous allons nous conformer aux injonctions de la cour et faire appel.» Le groupe avait fait appel du jugement initial devant la Cour suprême, mais la plus haute juridiction américaine avait refusé de se saisir du dossier. «Il n’y aura plus de commissions sur les transactions en ligne», a réagi le patron d’Epic Games, Tim Sweeney, sur X (ex-Twitter). Autrement dit : «C’est la fin de la taxe Apple».
En Europe, le Règlement sur les marchés numériques («Digital Markets Act» ou DMA), entré en vigueur l’an dernier, oblige les six plus gros acteurs mondiaux de la tech, dont Apple, à ouvrir leurs plateformes à la concurrence. Dans les échanges électroniques postérieurs à la clôture de Wall Street, le titre Apple abandonnait plus de 1 %.