Il y a un air de rentrée des classes sur le réseau social Mastodon. Dans le fil d’actualité, les anciens utilisateurs accueillent les nouveaux avec enthousiasme : «Bienvenue dans l’Eldorado des réseaux sociaux !» lance un internaute, inscrit depuis novembre 2021. Sur un ton que l’on imagine être celui des Alcooliques Anonymes, un autre membre, inscrit depuis moins de vingt-quatre heures, se présente : «Salut tout le monde, je suis un ancien addict de Twitter.»
Car de «Twittos» à «Mastonaute», il n’y a qu’un clic. Et ce clic, ils seraient plus de 80 000 à l’avoir enclenché depuis ce lundi, date de l’annonce du rachat de la plateforme à l’oiseau bleu par Elon Musk. Moins de 24 heures après que le milliardaire et le conseil d’administration de l’entreprise ont trouvé un accord, plus de 41 000 nouveaux internautes avaient créé leur profil sur ce réseau alternatif, présenté comme décentralisé. 43 000 supplémentaires y ont atterri le lendemain.
A lire aussi
Eugen Rochko, l’Allemand fondateur de Mastodon, indique depuis travailler «sans relâche» pour gérer l’afflux. «Vous avez peut-être remarqué des problèmes tels que des courriels de confirmation qui n’arrivent pas ou des retards dans les flux d’accueil, regrette-t-il dans un communiqué. Nous nous excusons de ce désagrément et continuons à travailler pour résoudre ces problèmes.»
Tapi dans l’ombre de Twitter
Il faut dire que, depuis l’annonce du rachat, deux clans se sont formés chez les utilisateurs de Twitter : les pros et anti-Musk. Si les premiers applaudissent la volonté du patron de Tesla de créer la «plateforme de la liberté d’expression absolue», les seconds dénoncent des positions dangereuses, propices à faire émerger davantage de haine et de désinformation sur le site.
Signe de ces transferts, selon l’AFP, de Barack Obama à Bernie Sanders, plusieurs personnalités figurant dans le camp des démocrates et appelant à une meilleure modération du réseau social auraient perdu plusieurs milliers d’abonnés, probablement partis vers des réseaux alternatifs. Tandis que sur Twitter, deux hashtags montent dans un même élan : #LeaveTwitter, ou «Quitter Twitter», et #JoinMastodon, pour «Rejoindre Mastodon». «Bon, Musk a réussi à tirer son épingle du jeu. Rien à voir, mais vous saviez que Mastodon est super simple à installer ?», plaisante un internaute dans un tweet.
Comment résumer Mastodon ? C’est l’anti-Twitter. Le fondateur lui-même, Eugen Rochko, rappelle dans son communiqué avoir créé la plateforme en 2016, alors qu’une rumeur affirmait que le géant était à une plume d’être racheté par «un autre milliardaire controversé». A l’époque, Disney, Google, Salesforce, Microsoft ou encore Apple caressaient en effet l’idée de se l’approprier. Alors face au petit oiseau, l’Allemand, alors âgé de 24 ans, a choisi le mastodonte - mastodon en anglais, un pachyderme préhistorique semblable au mammouth - pour bâtir sa propre utopie. Celle d’un réseau décentralisé, libre, sans publicité et «qui ne peut être acheté et détenu par aucun milliardaire».
Au premier abord, naviguer sur Mastodon laisse une impression étrange, tant ses fonctionnalités et son design ressemblent à ceux de Twitter. Les deux réseaux de microblogging partagent en effet un certain nombre de points communs dans leur présentation, comme la police d’écriture, l’existence de «Tendances» regroupant les mots-clés montants ou le ballet perpétuel de messages virevoltant dans un fil d’actualité.
Des apparences à dépasser car, dans leurs entrailles, les deux sites cumulent bien des différences. Ne serait-ce, pour commencer, que dans l’appellation et la longueur de leurs messages, 240 caractères max pour les «tweets» et 500 pour les «pouets». Mais aussi, et surtout, dans leur construction. Contrairement à Twitter qui est centralisé, Mastodon repose sur un ensemble de plus de 2 400 serveurs – les instances – équipés du même logiciel et pouvant communiquer entre eux.
Sans figure d’autorité contrôlant ce réseau, quiconque peut donc créer sa propre instance, selon les règles et la thématique qui lui plairont, de la philatélie à l’équitation en passant par les mangas. Une tache d’ombre à ce beau tableau : celle de la modération, encore faiblement abordée par le site. Et si une communauté toxique venait à éclore ? Il revient aux administrateurs d’instances de «les mettre immédiatement sur une liste noire», indiquait Eugen Rochko en 2017. Une solution efficace avec un petit nombre d’utilisateurs, mais qui face à un afflux très important et durable de nouveaux usagers pourrait trouver ses limites.
Mastodon-washing
Autre différence majeure : alors que le réseau de Jack Dorsey conserve sa recette secrète, Mastodon est open source. Depuis la naissance du pachyderme, plus de 650 programmeurs ont ainsi apporté leur brique à son code source. Enfin, le réseau fonctionne comme une association à but non lucratif, financée par des dons. Pour rappel, Twitter lui perçoit l’essentiel de ses revenus de la publicité.
Bien sûr, Mastodon est loin d’être le seul réseau alternatif à avoir enregistré une hausse de sa fréquentation ces derniers jours. CounterSocial, un site promettant «pas de trolls» et «pas d’abus» a aussi déclaré devoir «subir des mises à niveau de son infrastructure» en raison «d’un afflux sans précédent de nouveaux utilisateurs». De façon plus surprenante, Truth Social, le réseau social par Donald Trump - dont le lancement, début avril, avait rencontré un bide notoire notamment en raison de bugs techniques- gagne en puissance également. Ce mercredi, il dépassait même TikTok et Twitter dans le classement des applications populaires sur l’App Store.
A lire aussi
Face aux 217 millions d’utilisateurs quotidiens du réseau à l’oiseau bleu, Mastodon et ses 2 millions d’inscrits, la plupart des geeks, des militants et des organisations, figurent dans la catégorie des poids plumes. Si à son lancement le réseau a connu un certain succès, l’enthousiasme pour ce dernier semble s’être tassé au fil des ans, ne réapparaissant qu’au gré de scandales entachant les Big Tech, à l’image des récents Facebook Files.
Le rachat de Musk donnera-t-il des ailes au mammouth ? Eugen Rochko semble avoir eu du nez en lançant son appli Android sur Google Play Store, quelques jours seulement avant le coup d’éclat du milliardaire. Toutefois, ironiquement, si l’homme le plus riche du monde tient parole sur certaines promesses, les changements qu’il compte apporter à Twitter pourraient bien le rapprocher de Mastodon. En témoigne sa volonté d’ouvrir l’algorithme du réseau, de mettre en place un «cryptage de bout en bout» à sa messagerie ou de changer de modèle économique, actuellement bâti sur les publicités. Une sorte de Mastodon-washing pour l’oiseau ? Une différence majeure devrait subsister néanmoins entre les deux réseaux, si Twitter devenait un méga déversoir de haines et d’intox sous couvert de liberté d’expression sans limite.