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Libération
«Dialogue social»

Sommet à Paris : les travailleurs, victimes inégales de l’IA

Patrons, syndicats et organisations internationales se sont réunis ce lundi 10 février lors d’une table ronde pour échanger sur l’avenir du travail et la menace de l’automatisation qui pèse sur les emplois.
L'Organisation internationale du travail prédit que 2,3 % des emplois seront automatisés dans le monde. (Denis Allard/Libération)
publié le 10 février 2025 à 15h53

Des robots à la place des profs ? Des algorithmes au lieu de caissiers ? Et des chatbots plutôt que des médecins ? Le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle est tout juste lancé ce lundi 10 février à Paris qu’il s’attaque à une thématique épineuse : l’avenir du monde du travail à l’heure où ChatGPT et compères s’installent dans certaines entreprises. Le PDG d’Airbus, Guillaume Faury, la secrétaire générale d’UNI Global Union, Christy Hoffman, ou le directeur général de l’Organisation internationale du travail (OIT), Gilbert Houngbo, se sont passé le micro à l’occasion d’une table ronde ce matin. Et ont rapidement formé deux clans : l’un partisan d’une «prise de risques» face à une innovation source de rendements, l’autre défenseur d’un «dialogue social» afin d’éviter de creuser certaines inégalités.

Ecart entre les pays du Nord et du Sud

Car c’est bien sur ce point que l’IA pèse le plus. D’après l’OIT, les algorithmes ne nous mettront pas tous au chômage demain mais léseront certaines catégories sociales plus que d’autres. L’agence de l’ONU prédit que 2,3 % des emplois seront automatisés dans le monde. Des emplois de bureaux pour l’essentiel… deux fois plus occupés par des femmes. «L’IA risque donc d’accroître l’écart entre les hommes et les femmes», redoute Gilbert Houngbo dès son introduction. Autre inégalité que l’IA pourrait amplifier : celle entre les pays du Nord et les pays du Sud. Dans ces derniers, 5 % des emplois pourraient être occupés par un bot à l’avenir selon l’OIT.

Christy Hoffman parcourt une liste de garde-fous à mettre en place. Inciter les entreprises à conserver leurs salariés, réduire la semaine de travail, accompagner les laissés-pour-compte… Surtout, la syndicaliste d’UNI Global Union, qui représente 20 millions de travailleurs dans les services, implantée dans 150 pays différents, insiste sur l’importance d’un dialogue social amenant toutes les parties à «négocier» sur le sujet. Une négociation à avoir rapidement, insiste-t-elle : «Le gain de productivité généré par l’IA ne va faire que creuser les inégalités si on n’a pas cette discussion dès le début.»

«Si on ne se lance pas, les concurrents le feront»

De quoi faire tiquer Guillaume Faury, patron d’Airbus où l’IA aide au développement des vols en autonomie comme à la performance de certains logiciels de gestion de ressources. «Ce dialogue social, ce n’est plus de la négociation. Il faut embarquer tout le monde vers un certain avenir et accepter de prendre des risques», estime le PDG. Une parole à laquelle il associe des actes : Airbus fait partie de la coalition de 60 entreprises lancée ce lundi au sommet afin de faire de l’Europe un «leader mondial» en la matière, notamment en simplifiant «drastiquement» le cadre réglementaire européen. Au micro de la table ronde, Guillaume Faury dégaine ainsi l’irréfutable argument du businessman : «Si on ne se lance pas dans l’IA, les concurrents le feront.»

Pour les PDG, le «marche ou crève» est-il donc définitivement lancé ? Denis Machuel, à la tête du groupe suisse Adecco, spécialisé dans le secteur des ressources humaines, tempère. Dans sa société, l’IA est aussi bien utilisée par les recruteurs que les chercheurs d’emploi. Les premiers y ont recours pour faire correspondre plus rapidement profils de candidats et offres d’emploi. Les seconds pour générer des CV afin de charmer le marché. Parmi les entreprises qu’il accompagne, le patron estime que «seuls» 46 % ne vireront pas les salariés dont l’emploi peut être automatisé. Un chiffre «inquiétant» face auquel il appelle à «une montée en compétences à grande échelle des travailleurs». Formations en IA, cours de ChatGPT et leçons de machine learning seraient-ils la solution ? 58 % des cols blancs ont accès à des programmes de reconversion en IA, estime Denis Machuel. «C’est beaucoup moins chez les cols-bleus», souligne le PDG. Un serpent qui se mord la queue.