Jérôme Giusti est codirecteur de l’Observatoire justice et sécurité à la Fondation Jean-Jaurès et avocat spécialiste du droit du numérique. Dans un rapport publié ce jeudi, il expose avec Thomas Thévenoud, ex-ministre et auteur de la loi de 2014 relative aux taxis et aux VTC, l’idée d’une coopérative protectrice pour les travailleurs du numérique. Alors que les législations évoluent dans les pays voisins, la France accuse un retard qui pénalise les chauffeurs Uber et les livreurs de nourriture affiliés à des plateformes, précarisés par la crise sanitaire.
Vous défendez devant la justice 300 chauffeurs VTC et livreurs, aujourd’hui considérés comme travailleurs indépendants, qui demandent leur requalification en salariés. Au Royaume-Uni, Uber se dit prêt à donner un statut de « worker » qui s’approche du salariat (mais en restant précaire) à ses plus de 70 000 chauffeurs. Quels sont les principaux obstacles en France ?
La responsabilité est gouvernementale. Les chauffeurs-livreurs sont maintenus dans le flou à cause d’un gouvernement qui s’entête à passer des accords de principe avec Uber, pour soi-disant préserver l’emploi. Le gouvernement cherche à élaborer un statut tiers, ni protecteur, ni viable. Depuis 2018, le gouvernement encourage la création de chartes dites de responsabilité sociale, qui ont depuis été retoquées par le Conseil constitutionnel. En échange d’un minimum de protection sociale assez illusoire, ces chartes rendaient impossible pour les chauffeurs-livreurs de faire appel aux prud’hommes pour demander la requalification de leur statut. Malgré cet échec, le gouvernement reste inflexible sur le statut des travailleurs.
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Vous travaillez à un projet pour regrouper les chauffeurs-livreurs en coopérative. Où en est-il ?
Avec Thomas Thévenoud, nous avons eu l’intuition que ce système coopératif pouvait être la solution. Le rapport Frouin sur la régulation des plateformes numériques, commandé par le gouvernement et rendu en décembre, nous a donné raison. De même, le 4 mars 2020, la Cour de cassation reconnaissait dans un arrêt le caractère factice et précaire du statut d’indépendant imputé aux travailleurs des plateformes, donnant du crédit à notre projet. Nous préconisons la création d’une Coopérative d’activités et d’emploi (CAE) qui permettrait aux chauffeurs-livreurs de bénéficier d’un statut viable, d’un salaire fixe et de congés. Le projet a fait mouche puisque près de 500 chauffeurs franciliens se sont saisis de l’idée et ont commencé à cotiser. C’est un casse-tête, cela implique la création d’ici à l’été d’un statut pour la coopérative et la négociation de droits sociaux pour les chauffeurs-livreurs.
En quoi cette coopérative serait-elle une solution pour les travailleurs des plateformes numériques ?
Les chauffeurs-livreurs bénéficieraient d’un filet de sécurité, avec salaire et assurance en cas d’arrêt de travail, et seraient inclus dans un projet entrepreneurial où, en tant qu’associés, ils pourraient tirer des bénéfices grâce aux profits dégagés. Il s’agit de créer une structure alternative, qui permettrait par exemple la mutualisation des outils de travail, comme la mise en commun de véhicules. Concrètement, pour mettre sur pied un tel modèle, nous ne pouvons travailler seuls. Nous réclamons la création d’une autorité de régulation des plateformes. Nous souhaitons également la mise en place d’avantages fiscaux et la création d’un statut dédié aux jeunes entreprises sociales et solidaires, sur le modèle des jeunes entreprises innovantes (JEI) qui reçoivent subventions et exonération.