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Interview

Voix de Scarlett Johansson usurpée par ChatGPT : «Difficile pour elle de prouver que c’est réellement sa voix»

L’actrice américaine accuse l’entreprise OpenAI d’avoir volontairement copié sa voix à son insu pour son outil d’intelligence artificielle ChatGPT. La société de Sam Altman a indiqué lundi 20 mai qu’elle «travaillait à suspendre» une partie de ses services vocaux.
L’actrice américaine, Scarlett Johansson, accuse l’entreprise OpenAI et son directeur général, Sam Altman, d’avoir volontairement copié sa voix à son insu, pour son intelligence artificielle ChatGPT. (Dia Dipasupil/Getty Images. AFP)
par Léonard Cassette
publié le 21 mai 2024 à 16h04
(mis à jour le 21 mai 2024 à 17h01)

La société OpenAI a annoncé lundi 20 mai qu’elle allait changer la tonalité d’une voix de son service ChatGPT qui interagit vocalement avec les internautes, et qui ressemble à s’y méprendre à celle de Scarlett Johansson. L’actrice américaine accuse en effet l’entreprise et son directeur général, Sam Altman, d’avoir volontairement copié sa voix, à son insu.

De son côté, OpenAI assure que «la voix de Sky n’est aucunement une imitation de celle de Scarlett Johansson». L’entreprise affirme qu’elle a été développée en se basant sur la voix de différentes actrices. Pourtant, Scarlett Johansson explique dans un communiqué publié lundi avoir été approchée par la firme : «En septembre dernier, j’ai reçu une offre de Sam Altman, qui souhaitait m’embaucher pour être la voix de l’actuel système ChatGPT 4.0.»

Peut-on utiliser une voix pour l’intelligence artificielle ? Quelles sont les conditions ? Peut-on être sûr que la voix utilisée n’est pas celle de quelqu’un d’autre ? Libération a interrogé l’avocat spécialisé en droit du numérique Alexandre Lazarègue.

Dans quelle mesure et dans quelles conditions, une entreprise a-t-elle le droit d’utiliser une voix humaine pour une intelligence artificielle ?

La voix est un droit extrapatrimonial, comme l’image. Il est inhérent à notre corps. Il est possible pour une entreprise d’utiliser une voix à la condition d’avoir l’accord explicite de son propriétaire. C’est pas pareil pour une photo : une personnalité peut faire un recours en droit à l’image si elle n’a pas donné son autorisation. Si Scarlett Johansson avait accepté que sa voix soit utilisée, il aurait fallu qu’elle signe un contrat avec OpenAI. De plus, l’entreprise aurait dû payer des droits d’auteur si sa voix avait été issue de différents films où elle a joué.

Scarlett Johansson peut-elle prouver que sa voix a réellement été utilisée ?

OpenAI avait proposé d’utiliser sa voix à Scarlett Johansson, ce qu’elle a refusé. Or, il est difficile pour elle de prouver que c’est réellement sa voix qui a été utilisée, contrairement à l’image par exemple. Il n’y aura jamais de certitude, sauf à mandater des experts, faire des perquisitions qui pourraient permettre de déterminer dans quelle mesure tel son correspond à telle voix. En France, il aurait été possible par exemple qu’un juge demande à OpenAI de lui transmettre les outils utilisés pour la création de cette voix. Aux Etats-Unis, je ne sais pas. OpenAI dément et explique que sa voix artificielle «Sky» est le mix de différentes voix. Lesquelles ? Mystère. De plus, ce montage ne représente pas en soi une infraction : pour que cela relève du pénal, il faut qu’il y ait un délit, une violation de la vie privée. Avec la voix, je ne vois pas trop comment le délit peut être constitué… En définitive, cela relève du droit civil.

Quels sont les risques de l’utilisation d’une voix par une IA ?

OpenAI et les intelligences artificielles, il faut s’en méfier. Il y a un manque de transparence, une véritable opacité. Scarlett Johansson peut dire : «si on a utilisé ma voix, on peut aller plus loin et usurper mon identité». Pour OpenAI, cette voix, ce n’est que du marketing, un clin d’œil au film Her, avec une voix féminine, chaleureuse.