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Finances publiques : pour la Cour des comptes, le pire est à venir

A l’occasion de la présentation du rapport annuel de l’institution de la rue Cambon, son premier président, Pierre Moscovici, juge la «situation préoccupante» et «sérieuse».

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. (Marc Chaumeil/Libération)
Publié le 12/03/2024 à 7h00

Deux métaphores pour un antagonisme. D’un côté, un mur d’investissements pour assurer la transition écologique. De l’autre, une montagne de dettes, avec un taux d’endettement public prévu cette année à 109,7 % du produit intérieur brut (PIB), supérieur de 12 points au niveau de 2019, avant les crises. Ces deux éléments difficilement conciliables sont traités par la Cour des comptes dans son dernier rapport public annuel, publié ce mardi 12 mars.

«La situation est préoccupante, même au-delà de cela. Nous sommes dans un impératif d’action tellement la situation est sérieuse», indique Pierre Moscovici, le premier président de l’institution en commentant l’analyse de la situation des finances publiques. S’il prend bonne note des 10 milliards d’euros de crédits annulés par décret en février après que le gouvernement s’est enfin résigné à revoir à la baisse sa prévision de croissance«décision impérative» même si une «annulation de crédits, ce n’est pas une économie» – le lointain prédécesseur de Bruno Le Maire à Bercy (2012-2014) laisse entendre que ces milliards risquent de ne pas suffire pour ramener le déficit à 4,4 % du PIB en fin d’année.

Des économies «à ce stade ni documentées ni étayées»

Après une année 2023 qui serait, au mieux, blanche pour le rétablissement de la trajectoire budgétaire et qui n’a pas été «synonyme de sortie du “quoi qu’il en coûte”», il considère que «l’objectif de réduction du déficit pour 2024 n’est pas acquis». «Non seulement la prévision de croissance revue à 1 % reste encore élevée et au-dessus du consensus des économistes, mais 2023 a été décevante en matière de recettes», ajoute Moscovici. La Cour des comptes remarque que les prévisions de recettes, de l’impôt sur les sociétés ou encore de la TVA, risquent d’être moindres qu’attendu et souligne que «le gouvernement n’a pas intégré d’hypothèse de revalorisation du traitement des agents publics, dans un contexte où l’inflation attendue en 2024 est encore significative (2,5 %) et où les revalorisations de 2022 et 2023 sont restées inférieures à la hausse des prix ces deux années». Les ministres de Bercy auront sans doute l’occasion d’ajuster : ils ont confirmé la semaine dernière pendant leur audition à l’Assemblée nationale qu’ils pourraient présenter à l’été un projet de loi de finances rectificative.

Le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave a déjà annoncé «au moins 20 milliards d’euros» d’économies en 2025. C’est déjà 8 de plus que les 12 milliards jusqu’ici inscrits dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP). «Ces 20 milliards rejoignent notre estimation, mais les économies ne sont à ce stade ni documentées ni étayées», signale Pierre Moscovici. Elles devraient l’être quand les différentes revues générales des dépenses publiques, commandées dès novembre pour les premières, seront remises et que le concours des idées en l’air prendra, alors, peut-être fin. «20 milliards, c’est très compliqué, mais ce n’est pas infaisable, estime le premier président de la Cour des comptes. Il faut cibler les dépenses de moindre qualité et ne pas faire d’économies qui minent la croissance. Il ne faut être ni injuste ni économiquement stupide.» La Cour des comptes va participer à la réflexion puisque, comme elle l’a demandé à plusieurs reprises, elle est mandatée depuis vendredi par le Premier ministre, Gabriel Attal, pour rendre trois rapports d’ici à trois mois. Et pas des moindres : la participation des collectivités territoriales au redressement des finances publiques, la sortie des dispositifs de crise, et la régulation des dépenses d’assurance maladie.

50 milliards d’euros d’économies entre 2025 et 2027 ?

Ce ne sera qu’un début puisque, comme le calcule la Cour dans son rapport, pour respecter sa trajectoire de dépense, le gouvernement devrait «engager de l’ordre de 50 milliards d’économies entre 2025 et 2027, s’ajoutant aux 10 milliards de réductions des dépenses de l’Etat annoncées en février». Non seulement cela «n’a pas d’exemple dans l’histoire récente», mais «un tel effort est d’autant plus difficile à mettre en œuvre que la hausse des charges d’intérêts et de nombreuses lois de programmation sectorielle orientent déjà la dépense publique à la hausse, et que la transition écologique devrait mobiliser un volume croissant de financements, privés comme publics». Le gouvernement conteste le montant de 50 milliards dans sa réponse adressée à l’institution, expliquant qu’il ne correspond pas à «une cible précise de la LPFP». Il n’empêche, il se trouve bien face à une montagne de dettes et un mur d’investissements.

Quant à l’Union européenne, qui a entériné le mois dernier la réforme de son pacte de stabilité et de croissance, elle veille. La Commission avait déjà pointé l’an dernier la France parmi «les quatre pays de la zone euro dont le projet de budget risque de ne pas respecter les recommandations du Conseil», et indiqué qu’elle ouvrirait des procédures pour déficit excessif au printemps 2024 sur la base des résultats de l’année 2023. «En l’état, relève aujourd’hui la Cour des comptes, l’amélioration du solde structurel prévue en France entre 2023 et 2024 demeure inférieure aux exigences du pacte de stabilité.» La trêve est bel et bien terminée.