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Pactole

En Afrique, Bolloré en négociation avec l’armateur MSC pour larguer à prix d’or ses activités logistiques

Le groupe du milliardaire breton a reçu une offre de l’armateur MSC de 5,7 milliards d’euros pour le rachat de ses activités logistiques en Afrique. Un moyen de se concentrer sur la consolidation de son empire médiatique.
La filiale africaine du groupe Bolloré est présente dans 42 ports et gère les concessions de 16 terminaux à conteneurs au Cameroun, au Gabon, au Congo, en Côte d’Ivoire, etc. (Issouf Sanogo/AFP)
publié le 20 décembre 2021 à 21h49

Fin de partie pour Vincent Bolloré en Afrique ? Les rumeurs entourant la cession des activités logistiques du milliardaire sur le continent africain allaient bon train ces derniers mois. Le groupe tricolore l’a officialisé ce lundi : l’armateur italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC) a proposé 5,7 milliards d’euros au capitaine d’industrie pour le rachat de sa filiale Bolloré Africa Logistics, présente dans 47 pays du continent. «Le groupe Bolloré a consenti une exclusivité au groupe MSC jusqu’au 31 mars 2022 afin que ce dernier puisse, à l’issue d’une phase d’audit complémentaire et de négociations contractuelles, lui remettre, le cas échéant, une promesse d’achat», précise l’entreprise dans un communiqué.

Mi-octobre, le Monde et l’Obs révélaient que le groupe Bolloré était prêt à se séparer de ses activités africaines. Un symbole, alors que le continent représente le cœur des activités de l’entreprise. En 1986, l’industriel finistérien rachetait ainsi à Suez la Société commerciale d’affrètement et de combustible. Depuis les années 90, le chef d’entreprise a multiplié les investissements dans les ports mais aussi le rail, les plantations de palmiers à huile et l’énergie. La filiale africaine du groupe est aujourd’hui présente dans 42 ports et gère les concessions de 16 terminaux à conteneurs au Cameroun, au Gabon, au Congo, en Côte d’Ivoire, etc. Des activités considérées comme une vache à lait pour le groupe : en 2020, Bolloré Africa Logistics a réalisé 2,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires, sur un total de 24,1 milliards. Les conquêtes de l’industriel, dans le secteur des médias ou de l’édition, ont largement été facilitées par la fortune du milliardaire bâtie en Afrique.

Déboires judiciaires

Selon le Monde, le groupe aurait sollicité la banque d’affaires américaine Morgan Stanley pour sonder les géants du secteur quant à leur appétit pour les activités de Bolloré en Afrique. L’italo-suisse MSC, le danois Maersk ou l’exploitant portuaire Dubai Ports World et le chinois Cosco Shipping, déjà présent en Grèce, au port du Pirée, étaient notamment intéressés. Tout comme le français CMA-CGM, numéro 3 mondial du secteur, qui profite du commerce maritime en expansion après la crise sanitaire pour investir tous azimuts. La filiale africaine du groupe Bolloré était estimée entre 2 et 3 milliards d’euros. L’offre reçue ce lundi est bien supérieure. Si la vente venait à aboutir, elle signerait une belle réussite pour la filiale du groupe dirigée par Cyrille Bolloré, l’un des fils du milliardaire, et qui emploie près de 21 000 personnes.

Reste une question. Pourquoi l’industriel souhaite-t-il se séparer de ses activités en Afrique ? «Bolloré n’est pas vendeur de ses activités en Afrique», assurait il y a quelques jours une source au sein du groupe, citée par le Télégramme. Reste que la marche des affaires de Bolloré en Afrique n’est pas un long fleuve tranquille… Et écorne sérieusement l’image de la firme et de son patron qui aime à cultiver le récit d’une entreprise familiale, symbole du capitalisme à la française.

La justice a notamment enquêté sur les prestations d’Havas, une filiale de Vivendi (dont l’actionnaire de référence est Vincent Bolloré), lors de campagnes électorales des présidents togolais et guinéen, respectivement Faure Gnassingbé et Alpha Condé. Le deal sur lequel s’est penchée la juge d’instruction Aude Buresi reposait sur des services politiques accordés en échange d’avantages sur les concessions des ports de Lomé (au Togo) et Conakry (en Guinée). Dans cette affaire, le chef d’entreprise a été mis en examen en avril 2018 pour des soupçons de «corruption d’agents étrangers dépositaires de l’autorité publique», d’«abus de biens sociaux» et d’«abus de confiance». A la stupeur générale, Vincent Bolloré a reconnu les faits de «corruption active d’agent public étranger» et de «complicité d’abus de confiance» au Togo, et a accepté de payer une amende de 375 000 euros, en février. Un «plaider-coupable», dans le jargon judiciaire, refusé par le tribunal judiciaire de Paris, qui a demandé un procès en correctionnelle. Aux déboires judiciaires, s’ajoutent, sur le continent africain, des échecs industriels. A l’image d’un vaste projet de réhabilitation et de construction de plus de 3 000 kilomètres de voie ferrée passant par la Côte d’Ivoire, le Niger et le Burkina Faso, qui a ainsi accumulé les difficultés, comme le racontait Challenges en 2018.

Empire médiatique

Ces aveux de corruption devant une juridiction française, rares à ce niveau de responsabilité, sont-ils de nature à entraver la bonne marche du groupe en Afrique ? Jusqu’à pousser le milliardaire a larguer définitivement les amarres ? Dans son communiqué publié ce lundi, le groupe précise qu’il «conservera, dans tous les cas, une présence importante en Afrique, notamment à travers Canal+. […] Il y poursuivra également ses développements dans de nombreux secteurs comme la communication, le divertissement, les télécoms, l’édition…» En France, le magnat des médias ne cache pas sa volonté de consolider son empire, construit à coups de raids hostiles sur ses concurrents. En témoigne, l’OPA de Vivendi lancée début décembre sur Lagardère, le groupe d’Arnaud Lagardère, qui détient notamment Hachette, Europe 1, le JDD ou Paris Match

Le calendrier devrait également jouer un rôle dans la cession de la filiale africaine du groupe. Le 17 février 2022, date du bicentenaire de la création du groupe familial, le patron a prévu de quitter ses fonctions. La vente à l’armateur MSC interviendra-t-elle avant ? «La réalisation de la cession serait soumise à l’obtention d’autorisations réglementaires et des autorités de la concurrence compétentes ainsi qu’à l’accord de certaines des contreparties de Bolloré Africa Logistics», précise l’entreprise dans son communiqué. Or, l’étude de ce dossier par l’Autorité de la concurrence, dont l’économiste Benoît Cœuré vient de prendre la tête, pourrait être ralentie du fait de l’identité de l’acquéreur potentiel, MSC. Ce dernier, propriété de l’Italien Gianluigi Aponte, entretient des liens de proximité familiaux avec l’un des personnages les plus importants du sommet de l’Etat français, le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler. Les deux hommes sont cousins. Le numéro 2 de l’Elysée, fidèle d’Emmanuel Macron, fait l’objet d’une enquête judiciaire à propos d’un aller-retour entre public et privé. Il est notamment soupçonné d’être intervenu dans le dossier des chantiers d’Atlantique (STX) à Saint-Nazaire, sur lequel MSC s’était positionné pour monter au capital, comme l’avait révélé Mediapart. Kohler a également travaillé auprès du groupe MSC, malgré ses liens familiaux et le refus à l’époque de la commission de déontologie, chargée de surveiller les allers-retours entre le public et le privé. De quoi alimenter les soupçons de conflits d’intérêts, sur lesquels la justice a travaillé.

La cession d’une des branches d’un fleuron tricolore tel que Bolloré Africa Logistics à l’armateur italien, déjà dans les radars de la justice, apparaît donc comme politiquement sensible, à quatre mois de la présidentielle.