A peine le mystère des créations d’emplois commence-t-il à se dissiper que les destructions d’emplois font leur retour, amorçant une remontée du taux de chômage et hypothéquant de plus en plus la promesse gouvernementale du plein-emploi à la fin du quinquennat. Après la Banque de France qui a annoncé tabler sur un taux de chômage de 7,5 % en 2024, et de 7,8 % en 2025, contre 7,2 % cette année, c’est au tour de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) d’anticiper une hausse plus nette du taux de chômage qui passerait de 7,4 % cette année à 7,9 % dès l’an prochain. Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévisions, souligne : «C’est une augmentation du taux de chômage significative, mais pas non plus une explosion du nombre de chômeurs.» Cela mettrait en tout cas fin à plusieurs années de reflux.
Sur les mois écoulés, les économistes entrevoient les raisons d’une partie des si nombreuses créations d’emplois, qui n’ont cessé de les surprendre par leur vigueur malgré le ralentissement de plus en plus marqué de l’activité économique (le PIB devrait augmenter de 0,9 % cette année, selon l’Insee). Au total, 1,3 million d’emplois salariés dans le secteur marchand créés depuis 2019 ne l’auraient pas été en temps normal. «Entre la fin 2019 et le deuxième trimestre 2023, dans le secteur marchand non agricole, l’emploi salarié a augmenté de 6,5 % alors que la valeur ajoutée n’a crû que de 2 %, révélant des pertes de productivité du travail importantes», remarque l’OFCE dans une note.
«La fin des aides exceptionnelles crée des faillites»
Les économistes parviennent à expliquer les deux tiers de ces emplois en plus par des facteurs exceptionnels. Parmi ceux-ci, le faible niveau des faillites et les dispositifs de soutien aux entreprises tels que les prêts garantis par l’Etat, la durée du travail moyenne par salarié qui n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise, le recours à l’apprentissage encouragé par des dépenses publiques massives. Pour les 30 % qui restent inexpliqués, Eric Heyer, directeur du département analyse et prévision, émet plusieurs hypothèses : «Ces emplois sont surtout dans l’industrie et la construction. Cela s’explique sans doute par des phénomènes de rétention de main-d’œuvre dans l’industrie liés aux grands problèmes d’approvisionnement. Le taux d’absence peut aussi avoir joué un rôle.»
La fin de cette période particulière se traduirait par une baisse de l’emploi total de 53 000 en 2024 en glissement annuel, après 509 000 créations nettes en 2022 et 140 000 en 2023. Elle serait due au rattrapage partiel des pertes de productivité : environ un quart de celles-ci seraient récupérées dans les dix-huit prochains mois. «Selon nos hypothèses, la fin des aides exceptionnelles crée des faillites, et une partie des emplois maintenus vont disparaître, énumère Mathieu Plane. La durée du travail devrait se rétablir tandis que le nombre d’apprentis se stabiliserait. Les contrats aidés devraient aussi légèrement baisser.» Un dernier point inscrit dans le projet de budget pour l’an prochain.
Chocs successifs infligés à l’économie
Il faudrait aussi s’attendre à une hausse de la population active liée à l’entrée en application de la dernière réforme des retraites passée au printemps. L’emploi pâtirait également de la faible activité économique, même si la France ne connaît pas de récession comme l’Allemagne. L’hypothèse de croissance du produit intérieur brut retenue par le gouvernement, 1,4 % l’an prochain, est proche de celle du Fonds monétaire international (1,3 %), mais bien plus élevée que celle de la Banque de France (0,9 %) et que celle de l’OFCE (0,8 %).
Cette «croissance poussive» est le résultat des chocs successifs infligés à l’économie. Si celui du Covid et des dysfonctionnements des chaînes d’approvisionnement, tout comme celui de l’énergie, semblent passés, le resserrement monétaire décidé par la Banque centrale européenne avec plusieurs relèvements des taux directeurs ces derniers mois n’a pas encore produit tous ses effets. «En cumulé sur trois ans, de 2022 à 2024, la remontée des taux va amputer la croissance autant que le choc de l’énergie, de 1,4 point», prévoit l’OFCE. Sans encore prendre en compte les éventuelles conséquences de la guerre entre Israël et le Hamas.