Un SMS lapidaire. Jeudi 27 juillet, environ 169 000 foyers italiens ont reçu un message les informant qu’ils ne percevraient plus le revenu de citoyenneté à partir du 1er août. Sans plus de précisions. Cette aide de 581 euros par mois, en moyenne, similaire au RSA français, était jusqu’à présent accordée à tous les ménages percevant moins de 9 360 euros de revenus par an. Le nombre total de bénéficiaires continuera de diminuer par vagues successives jusqu’à la fin de l’année avant que le dispositif ne disparaisse complètement au 1er janvier 2024.
L’envoi de ces messages a suscité la colère et l’appréhension de milliers d’Italiens. Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. Lundi 31 juillet, à Naples, où l’aide a déjà été retirée à 21 500 foyers, un sit-in (mouvement non violent caractérisé par la position assise de ses participants) a été organisé devant les bureaux de l’organisme de Sécurité sociale.
Cresce la protesta delle famiglie rimaste senza reddito di cittadinanza. Sit-in e manifestazioni a Napoli pic.twitter.com/g3ry68qWBf
— Tg3 (@Tg3web) July 31, 2023
D’autant que la communication officielle est venue jeter de l’huile sur le feu. Le message reçu évoque en effet une «éventuelle prise en charge de la part des services sociaux», entretenant la confusion. En réalité, seul une partie des foyers pourra demander une prolongation jusqu’en décembre, à condition de prouver un «fort état de détresse sociale». Mais pour au moins 88 000 ménages composées de personnes jugées «en état de travailler» le dispositif sera remplacé par un instrument beaucoup moins généreux : chèque plafonné à 350 euros par mois pour une durée d’un an maximum, à condition «d’être actif dans des projets utiles à la collectivité».
Seuls les foyers où vit un mineur, une personne de plus de 60 ans ou porteuse de handicap pourront continuer à bénéficier d’une «mesure similaire» au revenu de citoyenneté, à partir du 1er janvier 2024. Et encore, le plafond sera réduit à 500 euros par mois contre 780 euros actuellement (630 euros pour les foyers comptant des personnes de plus de 67 ans ou présentant un grave handicap).
«Symbole de l’assistanat»
L’abolition de ce dispositif mis en place par le Mouvement cinq étoiles en 2019 était l’une des promesses phares émises par Giorgia Meloni durant sa campagne électorale. Après son élection en septembre en 2022, la Première ministre d’extrême droite avait été contrainte de temporiser, craignant une révolte sociale au vu de la conjoncture économique morose et de la forte inflation (8,1 % en 2022, son plus haut niveau depuis 1985). C’est le 1er mai, journée internationale des travailleurs, qui avait été choisi pour entériner la suppression du revenu de citoyenneté. Tout un symbole.
Chose courante lorsqu’il s’agit de détricoter un dispositif social, la cheffe du gouvernement a invoqué un coût trop important pour les finances publiques (8 milliards d’euros en 2022) et des dérives liées à son utilisation. Selon Giorgia Meloni, l’aide a non seulement failli à sa mission première – aider financièrement les citoyens durant leur recherche d’emploi – mais se révèle être un véritable «cadeau» à ceux qui n’ont pas envie de travailler. Soit le «symbole de l’assistanat». La présidente du Conseil se fait moins loquace quand il s’agit d’évoquer le million de personnes sorties de la pauvreté grâce au mécanisme, selon l’Institut italien de la statistique (Istat).
«Déclaration de guerre»
L’arrêt de cette prestation sociale a provoqué une levée de boucliers dans l’opposition. L’ancien président du Conseil Giuseppe Conte (Mouvement 5 étoiles) est monté au créneau pour dénoncer le «désastre social» engendré par l’exécutif, qui doit s’attendre à un «automne chaud». Elly Schlein, la secrétaire du Parti démocrate (opposition de centre gauche) y voit, elle, «une déclaration de guerre contre les pauvres», alors que l’inflation italienne (5,3 % en juillet) reste plus élevée que celle de la zone euro.
Pour Lucia Annunziata, éditorialiste au quotidien de centre droit la Stampa, il s’agit surtout de la part de Meloni et de son parti les Frères d’Italie d’une opération électoraliste visant «les méridionaux» dans les régions acquises au Mouvement Cinq étoiles lors des dernières législatives. «Si l’on regarde les chiffres, parmi les 1 985 000 bénéficiaires du revenu de citoyenneté, 1 445 000 se trouvent dans le Sud et les îles. C’est pourquoi je n’ai que peu de doutes», argumente-t-elle.
La suppression du revenu de citoyenneté a également fait réagir en France. «L’extrême droite dans ses œuvres», a condamné le premier secrétaire du Parti socialiste sur Twitter. «Le gouvernement italien supprime aujourd’hui l’équivalent du RSA, dispositif social qui a tiré de la pauvreté un million d’Italiens selon l’Institut de statistiques du pays. Ouvrez les yeux !» a-t-il écrit. Une manière de rappeler que sous ses discours populistes, l’extrême droite, en Italie comme en France, reste inféodée à l’ordre néolibéral. Et que sous couvert de lutter contre l’assistanat, elle prend des mesures antisociales aggravant la pauvreté et les inégalités.