Rebelote. Deux ans après avoir été sauvé de la faillite par l’homme d’affaires nordiste Pascal Cochez, avec l’aide de fonds publics, le fabricant alsacien de chariots de supermarché Caddie, à nouveau en perte, a été placé jeudi en redressement judiciaire par le tribunal de Saverne. Pour la quatrième fois en douze ans. Le tribunal lui a donné un mois pour trouver une solution. Pas sûr qu’il trouve un repreneur, ni qu’il continue à fabriquer des chariots. L’entreprise, qui tourne au ralenti depuis plusieurs mois, a été placée en observation jusqu’au 2 juillet, date à laquelle la justice fera de nouveau le point, a indiqué à la presse l’avocat du CSE Pierre Dulmet, à l’issue d’une audience de moins d’une heure.
L’emblématique fabricant n’a plus qu’un seul site de production et 110 salariés. Pourtant, son sort continue à résonner dans l’inconscient collectif, tant son nom est devenu synonyme de la société de consommation et l’exemple d’une success-story française mondiale des Trente Glorieuses. Aujourd’hui, il symbolise aussi la difficulté des PME industrielles françaises à fabriquer localement.
Supplanté par l’allemand Wanzl
Ses fondateurs, Raymond Joseph et son frère, qui avaient créé en 1928 les «Ateliers réunis», dans la banlieue de Strasbourg, avaient eu du nez quand, en 1957, ils s’étaient lancés dans la fabrication de chariots à roulettes en fil d’acier, après que Raymond avait vu les mêmes aux Etats-Unis. Le nom Caddie, déposé en 1959, inspiré par les voiturettes de golf, les «caddy carts», a accompagné l’essor des supermarchés français à partir de la fin des années 50, au point de devenir synonyme de l’outil, comme Bic, Kleenex ou Frigidaire. Et Caddie est devenu leader mondial des chariots.
Dirigée par la fille du fondateur à partir des années 80, l’entreprise n’a pas vu venir la concurrence du groupe allemand Wanzl, qui depuis l’a supplantée comme n°1 mondial. Wanzl, ce sont aujourd’hui 5 000 salariés ; une dizaine d’usines dans plusieurs pays d’Europe, y compris en Alsace, mais aussi en Chine ; des milliers de références dont des chariots en plastique – que Caddie a décidé de ne plus produire, au nom de l’environnement – et qui innove avec par exemple des chariots connectés, équipés d’un scanner qui permet au client de visualiser ses achats et leur prix total, produit star des derniers salons du secteur. Ces dernières années, Wanzl a ravi à Caddie des clients historiques, comme Aéroports de Paris ou Coopérative U.
Ancien PDG de Caddie de 2014 à 2018, Stéphane Dedieu explique d’abord les difficultés de l’entreprise alsacienne par ce «concurrent extrêmement fort» qu’est Wanzl : «C’est une société capable de faire un prix cassé et de vendre à perte juste pour tuer un concurrent.» L’entrepreneur regrette aussi des «erreurs de la direction actuelle» et cite notamment la fin de la production des chariots en plastique.
Plus généralement, Stéphane Dedieu se dit attristé face à «des clients français qui n’ont pas de fidélité au produit français et ne regardent que le prix». Et cette figure historique de Caddie de dénoncer «des entreprises comme Carrefour qui sont aujourd’hui gérées par des financiers pour qui l’histoire de l’entreprise et la provenance du produit importent peu face à quelques euros d’économie.»
«Gros risques pour l’emploi»
Caddie avait d’abord été repris en 2012 par Altia, un sous-traitant automobile qui a fait faillite, puis de 2018 à 2022 par le polonais Damix, qui a fermé en 2020 l’une de ses deux usines alsaciennes et transféré à la société polonaise la fabrication de porte-valises pour les aéroports ou les hôtels. Ce transfert lui a nui : c’était une «activité rentable», alors que Caddie «ne produit plus que des chariots de supermarché à faible valeur ajoutée», sur un marché «hyper concurrencé», a expliqué Me Dulmet. Pour le secrétaire du CSE de Caddie - qui refuse d’être cité nommément - «il nous a manqué de la trésorerie pour développer notre activité sur de plus petites séries de chariots, comme les chariots de jardinage, pour les hôpitaux ou les aéroports. Pour tous ces produits, Caddie bénéficiait d’une marge importante.»
Caddie doit pour l’instant environ 700 000 euros d’impayés à l’Urssaf. «On a un mois pour essayer de trouver des solutions pérennes», a souligné l’avocat. Le groupe Cochez pourrait de son côté présenter un «apurement du passif» avec un nouveau projet industriel, mais qui «ne serait pas la fabrication de chariots comme aujourd’hui», a avancé Me Dulmet. Mais «si on arrête la fabrication de chariots, c’est très problématique, il y a de gros risques sur l’emploi». Au nom de la réindustrialisation, l’Etat et la région vont-ils, comme en 2022, aider Caddie à trouver un sauveur ? A l’époque, ils étaient venus à la rescousse des repreneurs, le premier via un prêt bonifié de 418 000 euros, la seconde via une avance remboursable de 452 000 euros, selon la presse locale.
«Sur une carrière professionnelle, ce n’est pas normal d’être quatre fois en redressement judiciaire. […] L’état d’esprit est au plus bas», a réagi un délégué syndical CFDT. Les salariés, dont une dizaine attendait devant le tribunal, «vont apprendre la nouvelle […] et ça va encore une fois [les] toucher énormément», mais «on ne baissera pas les bras».
Mise à jour à 18 heures avec les commentaires de l’ancien PDG de Caddie Stéphane Dedieu.