La décision de la Banque centrale européenne (BCE) était scrutée jusqu’aux Etats-Unis. Dans la matinée, Donald Trump avait relevé sur son réseau Truth social qu’une septième baisse des taux directeurs était attendue (en profitant pour s’énerver une nouvelle fois contre la politique menée par la Réserve fédérale américaine et son dirigeant Jerome Powell). Le président américain a vu juste, l’institution de Francfort a choisi - à l’unanimité de son conseil des gouverneurs, a précisé sa présidente Christine Lagarde -, d’abaisser son principal taux d’intérêt directeur de 25 points de base, portant le taux de dépôt à 2,25 %.
Pour justifier cette poursuite de la baisse des taux directeurs entamée en juin 2024, alors que certains avaient laissé entendre le mois dernier que cette réunion mensuelle serait peut-être l’occasion de marquer une pause, la BCE a mentionné dans son communiqué des perspectives de croissance qui «se sont détériorées du fait de l’intensification des tensions commerciales», un choc négatif sur la demande mondiale, même si l’économie de la zone euro a développé «une certaine résilience face aux chocs mondiaux». Après avoir d’abord annoncé des droits de douane minimum de 20 % pour l’ensemble des produits venant l’Union européenne et entrant sur le territoire américain, les Etats-Unis ont temporisé en rabaissant ce taux à 10 % pour 3 mois (sauf sur l’acier et l’aluminium ainsi que les produits dérivés toujours à 25 %) – ce qui reste néanmoins un taux de deux à trois fois plus élevé que celui de l’an dernier.
Les inquiétudes se portent désormais davantage sur les conséquences à redouter de la guerre commerciale lancée par Donald Trump que sur l’inflation. La bataille contre cette dernière est, en effet, en passe d’être remportée. «Le processus de désinflation est en bonne voie», écrit la BCE, en référence aux dernières statistiques qui indiquent que l’inflation était, en mars, à 2,2 % en moyenne dans la zone euro. Interrogée en conférence de presse sur le risque inflationniste lié au relèvement des droits de douane et aux différentes ripostes des autres pays, Christine Lagarde a mis l’accent sur les «nombreuses incertitudes» actuelles, et jugé que «l’impact net sur l’inflation ne deviendra plus clair qu’au cours du temps». Une baisse de la demande pourrait faire refluer l’inflation tandis qu’une fragmentation des chaînes d’approvisionnement mondiales pourrait, au contraire, pousser les prix à la hausse.
Le dollar fléchit face à l’euro
Dans un tel contexte, l’institution se garde d’anticiper ses décisions des prochains mois : elle va continuer à s’appuyer, comme elle le répète inlassablement depuis les débuts de la dernière crise inflationniste, sur les «données» pour «déterminer, réunion par réunion», l’orientation de sa politique monétaire. Si le ralentissement du commerce mondial se confirme, les observateurs parient sur d’autres baisses de taux à suivre, certains allant jusqu’à envisager un taux de dépôt ramené à 1,75 % dans les prochains mois.
Plusieurs institutions internationales ont déjà fait part de leur préoccupation quant au ralentissement de l’activité mondiale. La directrice générale de l’organisation mondiale du commerce mondial (OMC), Ngozi Okonjo-Iweala, s’est dite mercredi «très préoccupée par l’incertitude qui entoure la politique commerciale, notamment l’impasse entre les Etats-Unis et la Chine». «L’incertitude persistante menace de freiner la croissance mondiale, avec de sévères conséquences négatives pour le monde, en particulier pour les économies les plus vulnérables», a-t-elle estimé. L’OMC a calculé que le recul du commerce mondial de marchandises pourrait atteindre jusqu’à 1,5 % en volume en 2025, en fonction de la politique douanière de Donald Trump.
Dans un climat chahuté, la stabilité financière revient au premier plan : le dollar fléchit face à l’euro, les rendements des bons du Trésor américain grimpent, et les marchés financiers mondiaux restent sous tension. «La BCE surveille la situation de près et reste prête à intervenir si nécessaire», avait affirmé Christine Lagarde la semaine dernière depuis Varsovie, en marge d’une réunion des ministres des Finances de la zone euro. Personne n’a oublié le scénario de la crise de 2008.
Mis à jour à 15h30 avec les propos de la présidente de la BCE, Christine Lagarde, tenus pendant sa conférence de presse.