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Interview

Face aux sinistres climatiques, «si les assureurs ne se reposent que sur les assurés, on court à la catastrophe»

L’explosion des dégâts dus aux catastrophes climatiques en France en 2023 pourrait pousser les assureurs à faire proportionnellement croître leurs tarifs. Pour Olivier Gayraud, juriste à l’association Consommation, logement et cadre de vie, cette hausse ne doit pas se systématiser.
Inondations à Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, le 14 novembre 2023. (Stéphane Dubromel/Hans Lucas pour Libération)
publié le 29 mars 2024 à 16h19

L’année 2023 a coûté cher aux compagnies d’assurances. La multiplication des catastrophes naturelles dans l’Hexagone les a forcés à débourser 6,5 milliards d’euros, a révélé la fédération France Assureurs, mercredi 27 mars. Inquiets de l’accélération et de l’amplification de ces événements dévastateurs (tempêtes Ciaran et Domingos, inondations dans le Nord, entre autres), les assureurs ont déjà annoncé fortement augmenter leurs frais en 2024. Des tarifs en hausse de 5 à 6 % pour les dommages habitation et de 3,5 à 4 % pour les dommages automobiles, c’est-à-dire au-delà de l’inflation. Pour 2025, la hausse du coût des assurances pour les catastrophes naturelles a, par ailleurs, déjà été entérinée.

Pour justifier ces hausses, Florence Lustman, présidente de la fédération France Assureurs, a notamment pointé un «changement d’échelle» manifeste concernant le risque climatique, 2023 étant «la troisième année la plus grave en termes de sinistres climatiques après 1999 et 2022». Les consommateurs vont donc devoir sortir leur porte-monnaie pour combler les pertes des assureurs. Mais pour Olivier Gayraud, juriste à l’association de consommateurs CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), faire uniquement reposer cette charge sur les assurés pourrait conduire à des situations de discriminations sociales et spatiales.

Avec l’augmentation des tarifs d’assurance, ne risque-t-on pas de voir des personnes renoncer à s’assurer ?

Nous n’avons pas encore observé ce genre de situation. Toutefois, que des gens se tournent vers le moins cher pour leur assurance, ça commence. Or, dans le monde de l’assurance, aller au moins cher, sans les bonnes garanties, cela veut surtout dire aller au moins couvrant et ce n’est pas une bonne chose. L’assurance habitation, par exemple, que ce soit pour les locataires, les copropriétaires et les propriétaires, c’est quasiment quelque chose d’obligatoire, ça ne se décide pas. Au bout du compte, si on se résout à ce que la seule réponse soit d’augmenter la facture de l’assuré, l’augmentation des frais va conduire les gens à mal s’assurer.

Chaque année, on entend que les assurances vont augmenter. La fédération France Assureurs le répète en boucle et si chaque compagnie fait ce qu’elle veut, que certaines font mieux que d’autres, au global, on a l’impression d’être face à une quasi-fatalité. Avec des assurées qui ne comprennent pas bien leur contrat, qui ne sont pas beaucoup accompagnés dans l’adaptation de leur contrat, et au final, un seul constat : une facture en augmentation.

Y a-t-il des alternatives à ces augmentations des tarifs ?

Oui. Par exemple, dans la catégorie des sinistres habitation, on a les cambriolages. Or, la télésurveillance n’est pas mise en avant par les compagnies, ce n’est pas incitatif, pourtant on aurait là de vraies bonnes dépenses pour limiter la hausse des coûts des contrats d’assurance. Durant le Covid, de nombreuses personnes ont fait remarquer qu’il n’y avait pas eu d’incidence sur les cotisations d’assurance automobiles, alors que ça roulait beaucoup moins, les frais ne sont donc pas seulement indexés sur des facteurs externes. Pour les habitations en zone inondables, on pourrait investir dans des digues. Il faudrait essayer de trouver des mesures d’économie, au lieu de systématiquement faire peser les coûts sur les frais d’assurance.

Certaines populations, notamment les plus précaires ou résidant dans des zones à risques, sont-elles plus concernées par des renégociations au rabais des contrats d’assurance ?

C’est tout à fait possible. La première fonction d’une compagnie d’assurances, c’est la sélection du risque et la mutualisation des coûts : assurer des gens qui feront fonctionner, ou pas, les risques. Or, si on a des gens particulièrement à risque, la cotisation va augmenter, ou elle va être résiliée. Ce sont potentiellement des gens qui vont être mis dehors, et ensuite, pour les anciens assurés, ça va être une énorme difficulté pour aller chercher des contrats ailleurs.

Pourquoi ?

Parce que si notre potentielle future nouvelle assurance nous pose la question, on doit lui dire que notre contrat précédent a été résilié par la précédente, sinon, on risque la fausse déclaration. Si l’on ne trouve aucune assurance pour nous couvrir pour un risque obligatoire, les personnes peuvent se tourner vers le bureau central de tarification. Cet organisme, qui intervient pour l’automobile et l’habitation, va obliger une assurance à nous assurer, mais avec une garantie minimum. Pour les dommages, on est très loin du niveau de garantie d’une assurance multirisque habitation. Si les assureurs ne se reposent que sur les assurés, on court donc à la catastrophe, avec des gens qui vont chercher à tout prix des compagnies avec les contrats les moins couvrants, les moins chers, et au bout du compte, des gens qui ne s’assureront plus.