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Hypothèses

Finances publiques : le gouvernement voit l’avenir en rose

Dans son avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques, examiné cette semaine par les députés, le Haut Conseil des finances publiques épingle l’optimisme de l’exécutif dans ses hypothèses macroéconomiques.
Le projet de loi de programmation des finances publiques doit être examiné cette semaine par l'Assemblée nationale. (Denis Allard/Libération)
publié le 25 septembre 2023 à 18h08

Le gouvernement a chaussé des lunettes à filtre rose. C’est en substance l’avis du Haut Conseil des finances publiques à propos du projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP). Après avoir été mis de côté pendant six mois, ce texte, qui trace la trajectoire budgétaire d’ici à 2027, revient mercredi soir dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, lors d’une session extraordinaire tenue exprès pour permettre au gouvernement de recourir au 49-3 sans griller son unique cartouche de la session ordinaire pour les mois à venir.

Le ton que les membres du haut conseil emploient est moins cinglant que dans certains de leurs précédents avis, mais ils remarquent tout de même à plusieurs reprises que l’exécutif a retenu des hypothèses favorables et des prévisions optimistes pendant que les aléas baissiers n’ont pas été pris en compte. Ils jugent aussi la trajectoire présentée «peu ambitieuse au regard des engagements européens de la France», ce projet de loi de programmation «ne prévoit pas de retour rapide vers l’objectif d’équilibre des finances publiques».

L’impact des crises sanitaire et énergétique

Le gouvernement a pourtant modifié ses plans par rapport à la première version du texte présentée en septembre 2022. Sur la croissance du PIB, par exemple, il a revu sa prévision en baisse pour 2024, à +1,4 % au lieu de 1,6 % précédemment. Celle-ci est «supérieure à celle du consensus des économistes» (à 0,8 %), et elle est «élevée», note le haut conseil, «notamment parce qu’elle suppose que le durcissement des conditions de crédit a déjà produit l’essentiel de ses effets et que l’ensemble des composantes de la demande tirera la croissance en 2024».

L’organisme indépendant présidé par Pierre Moscovici remarque aussi que si le gouvernement a revu l’impact des crises sanitaire et énergétique à la hausse par rapport aux précédentes versions, il n’en tire pas les conséquences : «La perte de PIB potentiel en niveau s’élève à 1,25 point de PIB au lieu de trois quarts de point […] mais sans changer pour autant sa prévision de croissance potentielle de 1,35 % par an sur la période 2023-2027.» L’évolution des différents indicateurs est perçue comme optimiste.

Sur l’épargne, par exemple, le gouvernement anticipe qu’elle passerait de 18,2 % du revenu disponible brut en 2024 à 15,3 % en 2027, un niveau comparable à celui d’avant-crise, «ce que rien ne permet aujourd’hui d’affirmer avec certitude». «Le scénario macroéconomique permettant de rejoindre en 2027 le niveau attendu de PIB potentiel repose sur des hypothèses favorables, avec un recul continu du taux d’épargne des ménages venant soutenir la consommation, le maintien à un niveau élevé du taux d’investissement des entreprises et une contribution positive du commerce extérieur», résume l’avis.

«Le poids de la charge d’intérêts est considérablement alourdi»

Sur l’emploi, le projet de loi de programmation reprend l’objectif présidentiel d’atteindre en 2027 le plein-emploi, soit un taux de chômage autour de 5 % de la population active, notamment par les réformes entreprises par le gouvernement. Mais leur impact anticipé est considéré «trop important et rapide» par le haut conseil. C’est le cas, selon lui, de la réforme de l’assurance chômage dont l’effet serait «surestimé». «Le gouvernement a fourni des précisions sur sa prévision de 100 000 à 150 000 emplois créés à moyen terme. Cette évaluation repose sur une estimation de la diminution du chômage marquée au regard des évaluations disponibles de réformes de ce type. Elle s’appuie en outre sur l’hypothèse optimiste que la diminution du chômage se traduirait intégralement par une hausse équivalente de l’emploi sans hausse de l’inactivité», juge-t-il.

Les crises ont conduit à la suspension depuis 2020 du Pacte de stabilité, et de ses objectifs à respecter telle que la limite de déficit à 3 % du PIB. Ce gel devrait expirer à la fin de l’année, des discussions sont en cours en Europe pour décider de la suite. Dans ce contexte, le gouvernement français prévoit de ramener le déficit de 4,8 % du PIB en 2022 à 2,7 % en 2027, soit un peu moins que dans ses plans précédents. Comme «le poids de la charge d’intérêts est considérablement alourdi et que le taux de prélèvements obligatoires reste quasi identique à celui présenté alors», le haut conseil en déduit que «cette trajectoire suppose la réalisation d’importantes économies structurelles en dépenses». Il refuse de juger le réalisme de cette trajectoire puisqu’il ne dispose pas de «précision sur la nature de ces économies», seulement des intentions de l’exécutif : «Le gouvernement escompte 12 milliards d’économies pérennes en 2025, réparties entre l’Etat et la sphère sociale […] puis d’un même montant d’économies supplémentaires les années suivantes.»

Le haut conseil n’est pas dupe des engagements contenus dans ce genre de projet de loi. Depuis l’apparition de cet exercice en 2008, il a eu à se prononcer sur cinq lois de programmation. Pendant cette période, «la situation des finances publiques françaises s’est nettement détériorée, contrairement aux objectifs affichés avec constance par les lois de programmation», écrit-il. Des objectifs «non contraignants, reposant sur des hypothèses généralement optimistes et rapidement obsolètes».