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Sanction

Fitch dégrade la note de la France : Bayrou dénonce les «élites» qui «conduisent à refuser la vérité»

De AA- à A +, l’agence de notation américaine a décidé ce vendredi 12 septembre au soir d’abaisser la note de la dette française, qui passe d’un risque de défaut de «très faible» à «faible».

A New York, le 18 mars 2025. (Angela Weiss/AFP)
Publié le 12/09/2025 à 23h05, mis à jour le 13/09/2025 à 13h49

Une lettre de moins. Sans attendre de savoir si le nouveau Premier ministre, Sébastien Lecornu, va parvenir à nouer un accord de non-censure pour faire passer le budget 2026, l’agence de notation américaine Fitch a dégradé la note de la dette de la France. Dans une décision rendue publique ce vendredi 12 septembre dans la soirée, elle a choisi de lui retirer un A. Passant de AA- à A +, la France quitte le groupe des pays dont le risque de défaut est considéré de «très faible» pour rejoindre celui dont le risque de défaut est «faible», où se trouvent déjà la Belgique, Malte et l’Estonie.

Quatre jours après avoir perdu à l’Assemblée nationale un vote de confiance qu’il avait lui-même sollicité, après un dernier discours alarmiste sur l’état des finances publiques, l’ancien Premier ministre François Bayrou, renversé lundi lors d’un vote de confiance sur la question des finances publiques, a aussitôt commenté vendredi soir sur X : «Note Fitch : un pays que ses «élites» conduisent à refuser la vérité est condamné à en payer le prix.»

«La dégradation de la note doit nous réunir pour, ensemble, réagir et corriger durablement la trajectoire budgétaire de la France», a également réagi sur X la ministre du Commerce démissionnaire, Véronique Louwagie (LR), alors que le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu a pour mission de trouver une voie de passage budgétaire malgré l’absence de majorité à l’Assemblée et le risque de censure.

Le président LFI de la commission des Finances de l’Assemblée, Eric Coquerel, a estimé dans un communiqué vendredi que «les seuls responsables de cette évaluation sont ceux qui ont dramatisé l’état des finances publiques pour le bénéfice unique de leur agenda politique», arguant que la «dette française reste sûre et recherchée». «Si le prochain gouvernement choisit lui aussi de s’appuyer sur les marchés pour imposer l’austérité, il court à la catastrophe annoncée par lui-même et conduira le pays toujours plus loin dans la crise économique, sociale et écologique», a-t-il ajouté.

«C’est juste le résultat de politiques, notamment de politiques budgétaires, menées depuis très longtemps dans ce pays qui nous conduisent dans cette situation extrêmement complexe», commente ce samedi 13 septembre sur France Inter le président de la Fédération bancaire française, Daniel Baal.

Celui qui est également président du Crédit mutuel Alliance fédérale ajoute : «C’est d’abord une responsabilité politique. Ce n’est certainement pas une responsabilité des entreprises» et «ce qui s’est passé ces derniers mois n’arrange pas la situation». Et de citer «l’incertitude constante» née de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024.

Daniel Baal a également souligné «le manque de dialogue» entre les responsables politiques et «un vrai malaise d’une grande partie des Français, qui ont le sentiment de ne pas être écoutés et encore moins d’être entendus». Pour sortir de «l’impasse», le dirigeant a appelé au dialogue et à construire «un budget de compromis». «Le nouveau Premier ministre, semble aujourd’hui avoir la bonne méthode», a-t-il estimé.

De son côté, le ministre de l’Intérieur et président des Républicains (LR) Bruno Retailleau a estimé samedi sur X que cette dégradation de la note de la France venait «sanctionner non seulement l’instabilité chronique voulue par les ingénieurs du chaos mais aussi des décennies d’errance budgétaire et de politiques social-étatistes». Il a ainsi insisté sur le fait qu’il est, à son sens, «plus que temps de redresser la barre», certifiant que «ce que proposent les socialistes ne fera que tout aggraver».

Relégation

La dernière fois que l’agence américaine Fitch avait fait changer la France de catégorie était en 2013, quand elle l’avait sortie du groupe des pays triple A (la meilleure notation). Elle est la première des trois principales agences internationales (avec Moody’s et Standard & Poor’s) à placer la France dans cette catégorie.

Cette relégation est motivée par les difficultés budgétaires que traverse le pays et l’instabilité politique qui perdure, même si, cette fois, un Premier ministre a été nommé rapidement après le départ de François Bayrou. «La chute du gouvernement lors d’un vote de confiance illustre la fragmentation et la polarisation croissante de la politique intérieure», pointe Fitch dans un communiqué. «Cette instabilité affaiblit la capacité du système politique à mettre en œuvre une consolidation budgétaire d’ampleur», ajoute l’agence américaine. «Sans perspective claire de stabilisation de la dette dans les années à venir», elle estime également improbable de ramener le déficit public sous 3 % du PIB en 2029 comme l’ambitionnait le gouvernement sortant.

A l’annonce de cette dégradation de la note française, le ministre démissionnaire de l’Economie et des Finances, Eric Lombard, a dit «prendre acte» de la décision de Fitch, «malgré la solidité de l’économie française». «Le nouveau Premier ministre a d’ores et déjà engagé la consultation des forces politiques représentées au Parlement en vue d’adopter un budget pour la Nation et de poursuivre les efforts de rétablissement de nos finances publiques», a-t-il ajouté.

En mars, quelques semaines après que le gouvernement a finalement réussi à promulguer le budget pour 2025, cette même agence avait laissé inchangée la note de la France, qu’elle avait six mois auparavant assortie d’une perspective négative (l’étape précédant le changement de catégorie). Fitch avait alors salué son économie «vaste et diversifiée» et ses «institutions fortes et efficaces», critiquant néanmoins son déficit élevé, son instabilité liée à l’absence de majorité à l’Assemblée nationale et la faiblesse de la confiance des entreprises et des ménages.

Résistance de l’activité économique

La semaine dernière, avant la chute du gouvernement Bayrou, les analystes de Fitch avaient rencontré Eric Lombard. A rebours des discours catastrophistes sur la situation économique et budgétaire de la France tenus pendant des semaines par le centriste et certains de ses ministres, l’heure était à la mise en avant de plusieurs aspects positifs.

L’exécution du budget, d’abord, avec une cible de déficit public inscrite dans la loi de finances de cette année (5,4 % du PIB après 5,8 % l’an dernier) en passe d’être atteinte. Si tel est bien le cas, ce serait la première fois depuis 2022 que le pays parvient à réduire son déficit public. La résistance de l’activité économique, ensuite, confirmée jeudi par l’Insee qui a légèrement rehaussé sa prévision de croissance pour l’année (attendue à 0,8 % contre 0,6 % précédemment). La levée d’une partie de l’incertitude, enfin, avec l’annonce, en juillet, d’un accord entre les Etats-Unis et l’Europe sur les droits de douane.

Reste que la France affiche toujours un déficit élevé, il était même l’an dernier après les deux années de dérapage des comptes publics le plus élevé de la zone euro, ainsi qu’une dette conséquente à 114 % du PIB au premier trimestre.

Capacité à refinancer

Reste à savoir quels effets aura cette dégradation. En général, les agences ne font que confirmer des mouvements qui ont déjà eu lieu. «Elles mettent de l’huile sur le feu en accentuant les tendances davantage qu’elles ne les créent. Les études montrent d’ailleurs qu’elles suivent les comportements des marchés sans les anticiper», expliquait Anne-Laure Delatte à Libération en 2023. En l’occurrence, les taux auxquels la France emprunte à dix ans se sont déjà appréciés ces dernières semaines.

Sa capacité à se refinancer n’est toutefois pas menacée : lors d’une émission le 4 septembre, elle a largement trouvé preneur pour les 11 milliards d’euros de titres mis sur les marchés. La dernière dégradation par Moody’s en décembre 2024 n’avait guère eu de conséquences sur les taux.

Les deux autres agences, Moody’s et Standard & Poor’s livreront leurs notes sur la dette la France respectivement le 24 octobre et le 28 novembre.

Mise à jour à 13 h 49, ajout de la réaction du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.