«Je suis SAM» : A l’entrée de la Société aveyronnaise de métallurgie, la phrase revient en boucle, sur des dizaines d’affiches collées au mur. Sur chacune, le visage et le prénom de celles et ceux qui travaillent dans cette fonderie de Viviez, près de Decazeville, et un petit mot sur la SAM, cette «grande famille», sur «la fierté de travailler» ici, ou encore la colère devant ce «grand gâchis». Depuis lundi, les salariés du site sont en grève pour défendre leur usine qui arrive au bout de sa période de redressement judiciaire. Mais ce vendredi, le tribunal de commerce de Toulouse a finalement prononcé la cessation immédiate d’activité, avec pour conséquence la suppression des 333 emplois que comptait l’usine.
Derrière ses murs, jusqu’à la semaine dernière, les ateliers produisaient pourtant encore des carters et des supports d’essuie-glace. Des pièces fondues et préparées, prêtes à monter, destinées au principal client du site : Renault. Dans l’usine, l’aluminium liquide à 750 °C est encore chaud dans les fours et les presses prêtes à redémarrer en quelques heures. «Sans la SAM, Renault n’aurait jamais pu mettre sur le marché sa Clio 5», rappelle Sébastien Lallier, responsable du secteur fusion et secrétaire du CSE. Comme les autres salariés, le cégétiste s’indigne du revirement du groupe automobile. Au printemps, Renault s’était engagé à fournir à la SAM de l’activité jusqu’à mars 2022. Mais mardi, le constructeur a annoncé qu’il n’apportait pas son soutien à l’unique projet de reprise du site présentée par le groupe Alty. Dans la foulée, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a déclaré que le projet de reprise n’était «pas crédible», alors même que l’Etat s’était engagé à le soutenir à hauteur de 5,4 millions d’euros, dont un million de subventions.
Ecœurement des salariés
Alors, au-dessus, de la galerie de photos des salariés, d’autres portraits ont été ajoutés : celui d’Emmanuel Macron, le «menteur», de Bruno le Maire, le «complice», et celui du «coupable», un certain Monsieur Moustacchi, directeur risques achats éthiques de Renault. «Des bandits», lâche Jocelyn, usineur, vingt-sept ans d’ancienneté à la SAM. L’abandon de Renault «est lamentable, une douche froide» pour ce salarié qui a connu l’époque où l’usine fournissait de nombreux constructeurs. «On faisait même les valises Samsonite !» En avance sur d’autres entreprises, la SAM «a déjà entamé sa transition», martèle Sébastien Lallier. Depuis trois ans, elle produit des pièces pour des voitures hybrides et électriques. D’où l’écœurement des salariés qui ont appris mardi par la télévision le lâchage de Renault. Mais leur stupeur a rapidement laissé place à la détermination.
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Dans les villages voisins, des pancartes noires avec des écritures jaunes appellent à soutenir la SAM. Le bassin de Decazeville a déjà souffert de la désindustrialisation, notamment en 1987, quand furent détruits 3 000 emplois directs de sidérurgistes et métallurgistes. Alors, pas question de voir partir l’un des derniers bastions industriels. Valérie, qui est «née ici et y vit bien», a longtemps travaillé à l’atelier de fonderie avant de rejoindre l’usinage : «Un régal», malgré la dureté physique du travail. Pour elle, c’est «terrible et frustrant» de constater que Renault «ne veut plus de nous, alors qu’on a de quoi faire, des gens motivés. Qu’est-ce qu’on va devenir si l’usine ferme ?»
«Petit arrangement entre voyous»
Jeudi soir, près de 3 000 personnes se sont réunies devant l’usine pour porter le même message : des cheminots, des salariés des hôpitaux et des usines voisines, mais aussi des élus locaux et habitants du territoire. Tous ont mis au carreau de leur voiture un bout de papier : le logo historique de l’usine, une silhouette de fondeur, et toujours ce même message, «Je suis SAM».
Parmi eux, Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT et ex-technicien chez Renault, est venu dénoncer «un vrai scandale d’Etat» et l’attitude de Renault «qui fait en sorte que ce qui se fait en Aveyron soit délocalisé dans un autre pays, chez CIE». Dans son viseur : le groupe espagnol, aussi sous-traitant de Renault, qui avait proposé au printemps de reprendre le site avec seulement un tiers des effectifs de la SAM, avant de se retirer sous la pression des salariés. Un «petit arrangement entre voyous», résume Martinez pour qui le gouvernement se rend complice en disant «on ne peut rien faire» alors même «qu’on peut sauver cette usine qu’il n’y a aucune raison de fermer», selon le numéro un de la CGT. Mais ce vendredi, le tribunal de commerce en a décidé autrement et «après avoir pris acte de la position de Renault», a donc prononcé la cessation immédiate d’activité, dans le cadre de la liquidation judiciaire.
Une décision couperet qui a provoqué la colère des des salariés de la SAM. En réaction à l’annonce du tribunal, ils ont voté en assemblée générale la poursuite de l’occupation et érigé des barricades devant l’usine en avertissant : « pour nous déloger, ils faudra qu’ils emploient la force ».