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Economie de guerre

«Fonds Défense» de BPIFrance : les particuliers appelés à investir pour financer les PME de l’armement

La Banque publique d’investissement, bras armé de l’Etat dans l’aide aux entreprises, lance ce mardi 14 octobre un fonds d’épargne dédié à la défense et ouvert à tous les épargnants. Une initiative «kaki» censée répondre aux besoins de financement des PME du secteur en plein effort de réarmement.

Dans l'usine du fabricant d'armes Verney-Carron, à Saint-Etienne en novembre 2023. (Hugo Ribes/Item pour Libération)
ParJean-Christophe Féraud
Journaliste - Economie
Publié le 14/10/2025 à 14h45

Un fonds d’épargne destiné aux particuliers pour donner des munitions aux «marchands de canons» ? Avant la guerre en Ukraine, l’idée aurait fait hurler la moitié de la classe politique et n’aurait certainement pas eu bonne presse auprès de la majorité des Français. Mais le monde est redevenu dangereux et l’Europe se réarme de toute urgence pour faire à la menace russe qui se fait plus pressante. C’est donc au son de la Marseillaise et du slogan «Allons enfants de l’investissement», que BPIFrance, le bras armé de l’Etat dans l’aide au financement des entreprises, a dévoilé ce mardi 14 octobre son tout premier fonds d’investissement «Défense» destiné aux particuliers pour appeler les épargnants, petits et grands, à placer leur argent dans le secteur redevenu porteur de l’armement.

«C’est une petite révolution pour BPIFrance : nous allons permettre aux Français de participer directement à l’effort de souveraineté dans la défense en leur proposant de participer au financement des entreprises du secteur via notre fonds d’épargne BPIFrance Défense», a claironné le directeur général de la Banque publique d’investissement, Nicolas Dufourcq, en présentant ce produit financier d’un genre un peu particulier. Concrètement, il sera possible à tout un chacun de placer directement, sur une plateforme en ligne ou via un des établissements financiers partenaires (BPCE Natixis, MeilleurTaux Placement, Axa), une somme minimum de 500 euros qui pourra aller jusqu’à 500 000 euros pour les plus fortunés. La durée de vie du placement sera de vingt ans, avec la possibilité d’y souscrire les dix premières années, et une période de blocage de cinq ans avant de pouvoir récupérer son argent. «L’objectif de rendement de 5 % net par an», a indiqué la directrice exécutive en charge des fonds chez BPI, Adeline Lemaire, le particulier étant informé qu’il y a toujours «un risque de perte totale ou partielle».

Il ne s’agira donc pas d’un «livret d’épargne défense» sécurisé utilisant une partie des 430 milliards d’euros encours du livret A, comme l’avait souhaité le chef de l’Etat : en février, Emmanuel Macron avait annoncé qu’il «n’excluait pas» de «faire appel à la nation» pour financer ce qu’il a appelé de manière très exagérée «l’économie de guerre», à savoir l’effort de réarmement mené par les entreprises du secteur que les militaires appellent la «BITD» (Base industrielle de défense). Mais le Conseil constitutionnel a tué l’idée dans l’œuf la jugeant hors sujet, la vocation première du produit d’épargne préféré des Français étant de financer le logement social.

«Jusqu’à la plus petite entreprise»

En attendant, le fonds BPIFrance Défense promet mieux que le Livret A dont le taux est tombé à 1,7 % le 1er août. Mais moins bien que certains fonds de private equity qui laissent miroiter des rendements de 7 à 8 %… avec un risque important. Des fonds de private equity lancés par des banquiers comme Antoine Flamarion (Tikehau Défense) ou Serge Weinberg (Eiréné) proposent déjà cette possibilité. La BPI espère se distinguer en jouant de son image publique : «Notre objectif de 5 % correspond aux modélisations conservatrices que nous avons pu faire en étudiant le tissu de la BITD et les perspectives du secteur de la défense», a précisé Adeline Lemaire. BPIFrance, qui amorcera son fonds Défense à hauteur de 300 millions, espère ainsi lever 450 millions d’euros d’ici trois ans en attirant au moins 150 millions d’euros d’épargne venant des particuliers dans l’immédiat. Mais à terme, la totalité de l’encours doit provenir de l’épargne des Français via notamment l’assurance vie, les PEA et autres PER proposés par les assureurs et les banques.

Ces 450 millions d’euros serviront à financer le développement des quelque 4 000 PME et PMI qui travaillent de près ou de loin pour l’industrie de l’armement, la banque publique visant «un socle minimum 500 entreprises à horizon cinq ans». Jusqu’ici, BPI France aidait surtout des entreprises du secteur plus importantes ou très innovantes avec ses fonds d’investissement dédiés comme Definvest et Fonds innovation défense. «La BITD, c’est neuf très grands groupes, une vingtaine d’entreprises de taille intermédiaire et 4 500 petites et moyennes entreprises. Ça ne ruisselait pas jusqu’en bas, nous avons voulu aller jusqu’à la plus petite entreprise qui conçoit des vis», a expliqué Nicolas Dufourcq. Exit donc les Dassault, Thales, MBDA, Safran, KNDS et autres Naval Group que la BPI accompagne déjà directement et qui se taillent la part du lion sur les grands programmes dans les commandes de la Direction générale de l’armement, ne laissant que des miettes à leurs sous-traitants.

Ces petites entreprises souffrent des marges très étroites que leur laissent les grands donneurs d’ordre et de la longueur des délais de paiement : une étude de la Direction générale du Trésor à Bercy sur la situation des entreprises de la BITD a montré qu’elles sont généralement dans une «situation économique et financière plus fragile» que le reste de l’industrie, avec un problème de «sous-capitalisation». Et leurs besoins de financement sont énormes : une étude de la BPI chiffre les besoins des industries de défense à plus de 20 milliards d’euros entre 2025 et 2035, dont 5 milliards sur fonds propres et 15 milliards par endettement. Le fonds BPI France ambitionne de couvrir «10 % des besoins en fonds propres des PME du secteur».

«Effet de déverrouillage et d’entraînement»

A charge donc pour les Français de participer au financement d’une industrie qui n’a pas toujours eu une bonne image et dont beaucoup d’activités ont longtemps été exclues des normes d’investissement «durable» des banques françaises. Guest-star de la conférence de presse de la BPI, le médiatique cofondateur de MeilleurTaux, Marc Fiorentino, n’a pas de doutes à ce sujet : «La thématique de la défense est très porteuse, nous sommes assaillis de demandes de la part des épargnants qui veulent participer à l’effort de défense du pays.» Le directeur du marketing de Natixis Interépargne, Patrick Behanzin, voit dans cette initiative «une contribution à l’éducation financière des gens en proposant un investissement dans un sujet qui concerne tout le monde».

Adeline Lemaire espère pour sa part que l’initiative de la BPI aura un «effet de déverrouillage et d’entraînement», en encourageant d’autres banques à amender leurs «listes d’exclusion» visant certaines activités de défense. «Depuis sa création il y a treize ans, BPI France a toujours eu vocation à financer nos activités de défense au service de la souveraineté et des armées, nous allons plus loin aujourd’hui en ouvrant cette possibilité à tous les Français», a conclu Nicolas Dufourcq sous l’œil ravi d’une brochette d’ingénieurs généraux de l’armement. Mais il reste bien sûr à ceux qui en ont les moyens la possibilité de placer leur bas de laine dans un secteur qui sent moins la poudre et concerne autant la sécurité future de tous : la transition écologique par exemple.