La reprise du groupe Casino, en grande difficulté financière – 9,5 milliards d’euros de dettes pour 33,6 milliards de chiffre d’affaires en 2022 –, entre dans sa dernière ligne droite. La septième enseigne française de grande distribution (Casino, Monoprix, Franprix, Cdiscount… et plus de 12 000 magasins dans le monde dont 9 000 en France) est depuis plusieurs semaines en discussion avec deux groupements d’investisseurs qui sont en concurrence frontale pour en devenir les nouveaux propriétaires. Après un premier tour de piste, il a été demandé à ces deux prétendants d’améliorer leur offre tant sur le plan financier que sur le projet de relance de l’activité. Leur copie revue et corrigée est attendue pour vendredi 14 juillet à 21 heures au plus tard.
D’un côté, un tandem composé par le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky (qui a prêté 14 millions d’euros à Libé en septembre 2022), présent dans l’énergie et les médias, associé à la trentième fortune Française, Marc Ladreit de Lacharrière, dont le holding, Fimalac, est spécialisé dans l’immobilier et la production de spectacles. Tous deux sont déjà actionnaires du groupe Casino à hauteur de 10 % et 12 %. De l’autre, un groupement d’investisseurs dénommé les «3F» (comme les trois fondateurs) dans lequel on retrouve le premier franchisé de magasins Casino et Franprix, Moez-Alexandre Zouari, le fondateur du groupe Free, Xavier Niel, et le banquier d’affaires Matthieu Pigasse. Leurs propositions sont sensiblement différentes. Le tandem propose de mettre plus d’argent sur la table, mais de tordre le bras aux créanciers en leur imposant d’importants abandons de dette. Le trio «3F», lui, propose moins de cash mais se veut plus doux avec les porteurs de dettes. Les plus importants d’entre eux semblent d’ailleurs s’être rangés du côté de cette proposition.
Série de «points durs»
La semaine dernière, le duo Kretinsky-De Lacharrière avait pourtant indiscutablement l’avantage. Casino l’a d’ailleurs fait savoir en publiant une analyse comparative des deux offres dans laquelle l’apport d’argent frais est clairement en faveur du binôme qui met 1,1 milliard d’euros sur la table, contre 450 millions seulement pour l’offre concurrente. Plutôt mécontent de cette présentation, Le trio Niel-Pigasse-Zouari s’est fendu d’une lettre de protestation auprès du PDG de Casino, Jean-Charles Naouri, et de l’Autorité des marchés financiers. La bataille de communication s’est poursuivie cette semaine avec une série d’interviews données par les «3F» sur le thème de la sauvegarde de l’emploi et de l’outil industriel.
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Les salariés justement s’estiment laissés sur la touche alors que se décide l’avenir de leur groupe. Un comité social et économique (CSE) a tourné court vendredi 7 juillet en raison de l’absence du PDG. «Nous sommes dans l’attente d’une nouvelle réunion», précise Jean-Luc Farfal, délégué syndical CFDT. «On parle beaucoup de la dette et pas assez des salariés. N’oubliez pas que nous sommes une entreprise qui a 125 ans d’histoire», rappelle Thomas Meyer, délégué central Unsa, qui déplore en outre l’absence d’échanges directs avec les candidats à la reprise.
De son côté, Jean-Charles Naouri a fait passer une série de «points durs» sur lesquels il sera particulièrement attentif : le maintien de l’emploi, la pérennité du siège social et des équipes installés à Saint-Etienne et l’intégrité du groupe. En clair, il ne s’agit pas de faire cautionner par Casino l’achat puis la revente dans la foulée de certaines enseignes. Soit parce qu’elles permettraient de réaliser une belle plus-value avec la revente des pépites Franprix ou Monoprix, soit parce qu’elles sont déficitaires comme les hypermarchés de Casino, dont 119 viennent d’être vendus au concurrent Intermarché. Un bon connaisseur de l’affaire confie à Libération : «Le portrait-robot est un candidat qui recueillera l’accord des créanciers qui cherchent être remboursés et l’accord de la société qui souhaite préserver son périmètre et ses emplois.»
Bercy attentif à l’emploi
D’ici à demain soir, il est donc probable que les offres revues à la hausse des deux candidats prennent en compte ces demandes. Ensuite, l’enchaînement sera rapide. Lundi 17 juillet, les créanciers, la direction de Casino et les représentants des repreneurs se retrouveront à Bercy pour une réunion dédiée aux nouvelles propositions. L’Etat a fait savoir, par la voix du ministre de l’Economie, Bruno Lemaire, qu’il serait particulièrement attentif au sort des 50 000 salariés des magasins français. Durant la semaine prochaine, d’ultimes discussions se tiendront sous l’égide des deux conciliateurs mandatés par le tribunal de commerce de Paris afin de trouver une solution pour Casino. Enfin, un conseil d’administration programmé le 26 ou le 27 juillet devrait entériner le choix de l’un ou l’autre des repreneurs. Un calendrier certes tendu mais dicté par la situation financière de l’entreprise.
Dans un communiqué diffusé mercredi 12 juillet au soir, Casino a annoncé, pour le deuxième trimestre 2023, un chiffre d’affaires en recul de 8,9 % en France. Les hypermarchés et les supermarchés enregistrent une chute encore plus brutale de leur activité, avec un recul respectif de 17,1 % et 13,9 %. Des chiffres qui s’expliquent en partie par la spirale dans laquelle se retrouve le groupe de grande distribution. Pour tenter d’enrayer la désaffection de ses clients, l’enseigne baisse ses prix ce qui entraîne mécaniquement une chute de ses recettes. Pendant ce temps, la dette de Casino qui, elle, n’a pas encore été renégociée, continue de prospérer.