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Guerre en Ukraine: le groupe Mulliez persiste, les syndicats s’alignent

Guerre entre l'Ukraine et la Russiedossier
Le groupe nordiste peine à justifier sa décision de maintenir son activité en Russie malgré la guerre en Ukraine. Tout en dénonçant les agressions de certains clients, les représentants syndicaux des différentes enseignes s’accommodent de la ligne de la direction, au nom de l’emploi.
A Moscou, en 2017. En France, des représentants du personnel alertent depuis quelques jours sur des menaces verbales recensées à l’encontre de leurs collègues en magasin. (Andrey Rudakov/Bloomberg. Getty Images)
publié le 31 mars 2022 à 17h36

Auchan et Leroy Merlin restent en Russie. Décathlon aussi mais a suspendu, depuis mardi et pour quelques semaines, son activité faute d’approvisionnement dans ses boutiques. «Au moins, ça aura le mérite de rendre plus serein le climat actuel dans les magasins Décathlon. Il y aura un peu moins de tensions : déjà entre collègues, parce que c’est un sujet clivant, et avec les clients qui appellent au boycott ou font des remarques désobligeantes», analyse Sébastien Chauvin, délégué syndical CFDT au sein de l’enseigne de vente d’articles de sport.

Depuis dimanche, les discrets et puissants dirigeants des trois sociétés nordistes du groupe Mulliez sont tour à tour sortis de leur habituel silence pour s’expliquer sur le maintien en activité de leurs magasins en Russie. Le PDG d’Auchan Retail International, Yves Claude a notamment défendu dans le JDD un choix «pas simple» en raison notamment des 30 000 salariés que compte la chaîne de supermarchés française en Russie : «Partir serait imaginable sur le plan économique mais pas du point de vue humain», a-t-il plaidé.

Embarras manifeste

Après les déclarations du président ukrainien Volodymyr Zelensky, le 23 mars, qualifiant les enseignes françaises présentes en Russie de «sponsors de la guerre» devant les parlementaires français, le silence n’était plus tenable. Mais les dirigeants du groupe Mulliez peinent à justifier le maintien de leurs enseignes en Russie autrement que par le business avant tout : à elles seules, les activités d’Auchan en Russie représentent un chiffre d’affaires annuel de 3,2 milliards d’euros…

Des enseignes américaines comme McDonald’s ou Starbucks ont de leur côté annoncé la fermeture temporaire de leurs magasins assez rapidement après le début de l’offensive russe contre l’Ukraine, en précisant qu’elles continueraient à payer leurs salariés dans le pays. Dès lors, l’embarras des syndicats au sein du groupe Mulliez est manifeste. «On comprend qu’il y a des enjeux géopolitiques propres à l’entreprise tels que le risque de nationalisation, le fait de partir et laisser des entrepôts au régime russe, ce qui finalement en arrêtant l’activité pourrait plus les aider que les contraindre. On n’a pas tout les tenants et aboutissants… C’est dur d’avoir une position très tranchée», explique Sébastien Chauvin de la CFDT Décathlon.

«On est entre le marteau et l’enclume»

S’il est trop tôt pour mesurer l’effet des premiers appels au boycott, des représentants du personnel alertent en revanche depuis quelques jours sur des menaces verbales recensées à l’encontre de leurs collègues en magasin. «C’est un épiphénomène mais qui existe. On est très vigilants, avance Jean-Marc Cicuto, délégué syndical central CFTC chez Leroy Merlin. Le problème ukrainien est dramatique. On est brisé en deux quand on voit ce qui se passe en Ukraine. Et de l’autre côté, je pense à la pauvre hôtesse de caisse qui travaille à Moscou dans un de nos magasins. Quand vous voyez ce qui se passe aujourd’hui quand vous manifestez en Russie, que pourrait-elle faire à part perdre son boulot ?»

Pour lui, «la guerre est un problème de gouvernements, pas d’entreprises privées». «On a des salariés des deux côtés, on est entre le marteau et l’enclume. L’entreprise compte 45 000 salariés russes ; avec leurs familles, ça fait 100 000 personnes. En France, nous ne sommes que 28 000 salariés. Rien que ça doit suffire à comprendre la situation dans laquelle on est.» Une chose est sûre, les 113 magasins russes de Leroy Merlin représentent autour de 18% de l’activité de l’enseigne de bricolage.

Arnaud Dekmeer, délégué syndical FO chez Auchan, qui emploie 30 000 personnes en Russie et 6 000 en Ukraine, dont la moitié dans des zones de combats selon la direction du groupe, s’en tient aussi à soutenir les salariés des deux côtés : «On ne veut pas du conflit, on veut qu’il s’arrête. Dans les pays, surtout du côté des Ukrainiens, les gens n’ont rien demandé donc on reste solidaire de tous les ouvriers.» Comme ses collègues, il se garde bien de commenter la décision du groupe.

«L’entreprise s’est positionnée. C’est sa responsabilité. Ce qui est dur, c’est le gros amalgame qui est fait», regrette pour sa part Bernard Vigourous, délégué syndical FO chez Leroy Merlin. «On a un bon petit déchaînement sur les réseaux sociaux. Je vous lis un post que j’ai sous les yeux : “Leroy Merlin, vous êtes complices du génocide ukrainien. Vous ne pensez juste qu’à votre profit, bande de nazis. Vive l’Ukraine.”» Et le même de conclure : «Quand on se permet d’aller dans un magasin en traitant les employés qui viennent travailler pour nourrir leur famille de “collabos de Poutine” mais en venant dépenser son argent dans ce même magasin, j’avoue ne pas comprendre.»