C’est la proposition du Nouveau Front populaire qui électrise le plus le débat : augmenter le smic à 1600 euros net, soit 200 euros de plus qu’actuellement (+ 14,3 %), ce qui concernerait plus de trois millions de Français. Une hausse en une fois inédite, comparable à l’augmentation de 10 % décidée par le gouvernement Mauroy en 1981. Deux camps s’opposent : ses partisans plaident non seulement pour la justice sociale mais aussi pour une stimulation de la consommation, moteur de la croissance, et minimisent les effets sur l’emploi. De l’autre, ses adversaires, notamment les entreprises et les économistes partisans de la politique de l’offre, pronostiquent une destruction d’emplois massive et des faillites, ainsi qu’une baisse de la compétitivité. Mais on trouve aussi la CFDT dans le camp des opposants, qui préfère une progression plus uniforme des salaires.
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«Beaucoup de petits commerçants ou d’artisans ne pourront pas payer»
Du côté des PME, c’est un chœur de cris d’alarme. Le smic à 1 600 euros génère «une hausse pour l’entreprise de 530 à 550 euros» par salarié par mois, a déclaré Marc Sanchez, secrétaire général du Syndicat des Indépendants et des TPE. Selon une enquête de la Confédération des PME, avec un salaire minimum à 1 600 euros net, 14 % des entrepreneurs «n’auraient d’autre choix que de cesser leur activité tandis que 27 % licencieraient une partie de leur personnel pour sauver leur entreprise». Même sentiment pour Michel Picon, président de l’Union des entreprises de proximité (U2P), pour qui «beaucoup de petits commerçants ou d’artisans ne pourront pas payer des smic à 1 600 euros net par mois». Sur les réseaux sociaux, de nombreux patrons de TPE s’affolent et disent qu’ils devront licencier.
L’institut Montaigne, un think tank libéral, a calculé une perte nette de 300 000 emplois et un coût pour les finances publiques de 17 à 21 milliards d’euros en allègements de cotisations sociales, qui sont alignées sur le smic. D’autres effets sont encore plus inconnus : une diffusion ou non de la hausse du smic sur les salaires supérieurs et les impôts qui en découlent. Du côté gouvernemental, pendant la campagne, on n’a pas fait dans la dentelle. Bruno Le Maire a prédit le «retour au chômage de masse» et Gabriel Attal la perte de 500 000 emplois.
Plus nuancé, l’économiste de l’OFCE Eric Heyer estime que «le renchérissement du coût du travail pourrait se traduire par la destruction de 322 000 emplois», mais prévoit aussi 142 000 créations de postes grâce à une hausse de la consommation et 151 000 postes créés grâce aux allègements de charges qui s’appliqueraient à de nouveaux emplois. Bilan final : 29 000 destructions d’emploi, «loin de la catastrophe annoncée», prédit l’économiste.
En revanche, la hausse du smic augmenterait de près de 10 milliards d’euros le revenu disponible des ménages, font valoir les dirigeants du Nouveau Front populaire, ce qui stimulerait la consommation et donc… l’emploi. Le NFP promet aussi des aides aux TPE, temporaires, pour qu’elles puissent assumer ce surcoût, un mécanisme qui reste à détailler et à chiffrer précisément, et met en avant les hausses de salaire minimum qui ont eu lieu en Espagne et en Allemagne sans drame. Contre-argument, la France a déjà l’un des Smic les plus élevés au monde. Plus qu’à Madrid certes, mais moins qu’à Berlin.
«On est actuellement à 17 % de smicards»
L’économiste Michaël Zemmour minimise également les impacts négatifs sur l’emploi. «Les exonérations [de charges sociales] au niveau du smic font qu’une partie de la hausse du coût est compensée. A court terme, elles sont un vrai amortisseur», argue l’universitaire. «Par contre, la première objection à cette mesure, c’est qu’on est actuellement à 17 % de smicards, et ce qui l’explique c’est que les salaires au-dessus sont en panne, poursuit-il. L’objectif de la politique, c’est de redynamiser la politique salariale, parce qu’on ne veut pas qu’il y ait plus de 20 % de gens payés au smic. La bonne formule serait de faire ça en plusieurs étapes, avec au début une augmentation instantanée significative.» Pour son collègue Clément Carbonnier, «une telle mesure pèserait de l’ordre de la dizaine de milliards d’euros sur les comptes publics, principalement du fait du système d’allègements de cotisations sociales indexé sur le smic, mais n’aurait probablement pas d’effet négatif sur l’emploi.»
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Attention à un autre effet de bord même si le NFP promet d’«organiser une grande conférence sociale» pour l’éviter : Luc Mathieu, secrétaire national de la CFDT, a averti dans la Croix que «le manque à gagner, du fait d’un élargissement des allègements de charge, rendrait nécessairement plus complexe le financement de la Sécurité sociale et menacerait l’équilibre des caisses de retraite.» Il estime d’ailleurs que plutôt qu’une forte hausse du smic, mieux vaudrait «ménager une dynamique salariale au fur et à mesure de la carrière». Il pointe l’une des critiques récurrentes de cette proposition, qu’une partie des salariés aujourd’hui payés un peu au-dessus du salaire minimum se retrouvent smicards. «Pour eux, ce serait comme recommencer à zéro», avertit Luc Mathieu. D’autant qu’à 1 600 euros, le smic concernerait «21 à 22 % des salariés», contre 17 % aujourd’hui.