Emmanuel Macron et son gouvernement se réjouissent régulièrement du regain de santé de l’industrie française, avec une communication grandiloquente sur les ouvertures d’usines, plus discrète sur les fermetures. Dans le premier baromètre industriel de l’Etat publié ce mercredi 27 mars, le gouvernement annonce la création de 201 ouvertures nettes en 2023, dont 57 ouvertures nettes de sites, le reste étant des «extensions significatives». Un bon indicateur de la dynamique dans ce secteur, surtout qu’il est supérieur à celui de 2022, mais qui cache des disparités sectorielles et territoriales.
La mesure de ce secteur est compliquée. Il existe bien celle de Trendeo, qui compile les annonces de suppressions et de créations d’emplois industriels en France, avec des sources diverses. Le cabinet de Roland Lescure critique en revanche les biais méthodologiques de ce dernier, à ses yeux, puisqu’il prendrait notamment en compte les entrepôts et les simples annonces d’ouvertures. Trendeo affirme en revanche à Libération que si ces informations sont bien compilées, «cela ne rentre en aucun cas dans notre indicateur “usines”», qui, lui, ne prend pas en compte les extensions, et, «pour la taille, nous avons défini un seuil minimum de 10 emplois créés ou supprimés». Bercy s’est en tout cas attelé à créer son propre baromètre qui mesure, lui, «l’évolution effective de l’industrie en France», affirme-t-il. «Quand j’ai été nommé ministre de l’Industrie, il y a un an et demi, je n’avais pas de mesure objective exhaustive de la réindustrialisation», a d’ailleurs précisé Roland Lescure sur France Info.
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Mais si le gouvernement communique sur le chiffre de 201 ouvertures nettes, supérieur de 14 % à celui de 2022 (176), le gros de la cohorte (144) concerne des «extensions pérennes et significatives de sites». Ces dernières sont incluses quand s’observe une «augmentation de la capacité de production d’une usine existante» d’au moins 20 salariés, soit 40 % en plus des volumes de production, de la valeur ajoutée ou des effectifs, ou alors l’embauche de 50 salariés. La seule construction de bâtiments, notamment d’un entrepôt, n’est pas donc pas comptabilisée. Pour le cabinet de Roland Lescure, ces chiffres positifs sur l’extension des sites illustrent le fait «que la base industrielle est présente et continue de s’étendre».
Les données du baromètre manquent de détails mais illustrent la santé différenciée entre les secteurs. Que ce soit en 2022 ou en 2023, l’agroalimentaire se porte au mieux. Malgré 23 fermetures de sites en 2023, le solde net est de 47 ouvertures ou extensions. Avec 29 créations ou extensions et aucune fermeture, l’industrie verte et économie circulaire (recyclage) prend la deuxième marche du podium à la construction, qui passe de 25 ouvertures nettes en 2022 à seulement, à cause de 13 fermetures, en raison de la morosité dans le secteur du BTP. Celui des transports montre le contraste dans le paysage industriel français. En 2022 comme en 2023, il totalise le deuxième plus grand nombre de fermetures. Pourtant, l’an dernier, il est le troisième en ouvertures nettes (22) grâce à 38 sites sensiblement agrandis ou créés.
Les Hauts-de-France en difficulté
Des secteurs pourtant en difficulté depuis plusieurs décennies parviennent à sortir la tête de l’eau. Le textile, qui souffre de la concurrence des pays à bas coûts, parvient à 19 ouvertures nettes en 2023 contre 23 l’année précédente. La métallurgie, qui était le plus en difficulté en 2022, avec un solde négatif de 4 sites, se retrouve avec 10 ouvertures nettes en 2023. Le secteur de la santé est également parmi les plus en verve.
Ces chiffres plutôt positifs, sans être fracassants, accompagnent celui de 130 000 emplois supplémentaires dans l’industrie en France entre 2017 et 2023, selon le cabinet de Roland Lescure. Mais ils ne doivent pas faire oublier que des milliers de postes industriels sont détruits chaque année dans des régions ou départements qui ne sont pas concernés par les ouvertures de sites. Dit autrement, les ouvriers de la fonderie MBF Aluminium de Saint-Claude (Jura), du sucrier Tereos à Morains (Marne) ou de Marelli à Argentan (Orne) et de Saint-Julien-du-Sault (Yonne) ne pourront pas profiter des emplois créés dans les régions les plus dynamiques que présentent l’Auvergne-Rhône-Alpes ou la Nouvelle-Aquitaine, sauf à accepter un changement radical de vie, la perte des relations familiales et la démission du ou de la conjointe, qui ne retrouvera pas forcément un emploi sur place.
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Les habitants et élus des Hauts-de-France feront grise mine à la lecture du baromètre. C’est la région qui enregistre la plus grande perte nette de sites (-9), la seule dans le négatif avec la Corse (-1). Le gouvernement défile pourtant régulièrement dans les sites industriels de la région, actuels ou en devenir, notamment dans le secteur de la mobilité électrique. Mais côté batteries, par exemple, seule celle d’ACC, à Douai, a commencé sa production en mai 2023 et figure donc dans l’indicateur de l’Etat. Surtout, ce chiffre rappelle que, malgré la communication portant sur les créations d’emplois grâce à la transition de l’automobile, il y en aura plus de détruits que de créés. Et que les investissements en recul dans l’industrie en 2023 dans l’Union européenne (38 %) et notamment en France (21 %) auront du mal à inverser.
Mise à jour le 28 mars à 19 heures : avec des corrections sur le périmètre de l’indicateur Trendeo