De Michelin à ArcelorMittal, de Valeo à General Electric, plus un jour ne se passe sans l’annonce d’un plan social, de la fermeture d’un site industriel ou de l’annulation d’un projet. Syndicats, économistes, industriels… Tous tirent la sonnette d’alarme sur l’industrie en France. Et désormais même l’exécutif reconnaît l’urgence de la situation. Ce vendredi 29 novembre, Michel Barnier a présenté à Limoges (Haute-Vienne) son «plan pour réindustrialisation la France».
Parmi les principales mesures : un fonds de 250 millions d’euros pour l’automobile, un autre de 425 millions pour l’aéronautique. Le Premier ministre a par ailleurs décidé d’exempter pour cinq ans tous les projets industriels du zéro artificialisation nette (ZAN) et de les sortir du champ de la commission nationale du débat public (CNDP). Ironie du sort, cette commission, qui permet aux citoyens de participer aux discussions lors des implantations industrielles, avait été créée en 1995 par le même Michel Barnier. Soit un double recul, environnemental et démocratique. En plus d’actions déjà connues, comme les 1,55 milliard d’euro pour la décarbonation des 50 sites les plus polluants, le Premier ministre a également annoncé la création d’une «task force» interministérielle pour l’accompagnement des entreprises en difficulté, des simplifications de procédures, le soutien à la formation, ou encore «une start-up d’Etat qui identifie par un algorithme d’intelligence artificielle les fragilités des entreprises», précise le gouvernement. Des propositions qui auront du mal à enrayer la pente négative prise par l’industrie en France.
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Emmanuel Macron a pourtant fait de la réindustrialisation dans l’Hexagone un objectif majeur de son action économique. Et à écouter le chef de l’Etat, l’ex-ministre de l’Economie Bruno Le Maire et divers ministres et députés de la macronie, cela fonctionnait. Grands raouts à l’occasion de France 2030 et de Choose France, inaugurations de gigafactorys… La communication a été abondante concernant les bonnes nouvelles. Sauf que les chiffres, qui étaient déjà plus nuancés avant le début de l’année, montrent désormais une inversion de tendance, que dénoncent les syndicats. Selon le baromètre du gouvernement, la balance nette (entre ouvertures et fermetures de sites industriels) était de +49 en 2022, +57 en 2023 mais de -8 au premier semestre 2024.
Le cabinet Trendeo, qui fait également référence, compte pour sa part une balance nette de +20 au premier semestre mais de -25 du 1er juillet à aujourd’hui. L’année risque donc de s’achever dans le rouge. «On ne peut pas nier que l’observation de la tendance, quel que soit l’indicateur, est inquiétante, analyse auprès de Libération David Cousquer, créateur et gérant de Trendeo. Mais la réindustrialisation est un projet à long terme, avec forcément des hauts et des bas, ne l’enterrons pas trop vite.»
«Résultats contrastés»
«La France a connu, par rapport aux autres grands pays européens comparables, un rythme de désindustrialisation plus marqué entre les années 2000 et 2010», rappelle de son côté la Cour des comptes dans un rapport publié jeudi, qui s’intéresse «à dix ans de politiques publiques en faveur de l’industrie», de 2012 à 2022. Et le rapport d’asséner : «Ces actions, qui ont pris des formes diverses, présentent des résultats contrastés en 2024.» La Cour des comptes propose notamment d’«engager une revue des priorités de France 2030 et arrêter ou réorienter dès 2025 les financements de certains projets», de repenser la stratégie industrielle de l’Etat ou encore de réajuster les mécanismes de soutiens publics, notamment le crédit d’impôt recherche, pas suffisamment ciblé aux yeux de l’institution.
Reportage
Michel Barnier n’était en tout cas pas le seul à s’agiter sur la question cette semaine. Six mois après une première liste de plans sociaux déjà sur la table, la CGT estime désormais que 210 sites à caractère industriel sont concernés par des suppressions de postes depuis septembre 2023, et que sur les 70 586 emplois directs menacés ou supprimées, 30 870 le sont «dans la seule industrie». Pire : en prenant en compte les emplois directs et induits, la CGT calcule, sources à l’appui, que 128 250 à 200 330 emplois sont en danger depuis un an.
Mercredi, au siège du syndicat à Montreuil, Sophie Binet, secrétaire générale, et Sébastien Menesplier, membre du bureau confédéral, avaient invité la presse et les secrétaires des secteurs les plus touchés : chimie, métallurgie, verre, papier-carton mais aussi commerce… La CGT a promis «un décembre rouge», avec six journées de grèves sectorielles début décembre, qui s’achèvera le 12 décembre par une mobilisation nationale pour l’emploi et l’industrie. «On est au pied du mur, a tonné Sophie Binet. On fête les 10 ans de la politique de l’offre, […] cette politique est un naufrage.» Et la secrétaire générale de la CGT de réagir à la création de la «task force» du gouvernement sur l’industrie : «Il était temps, mais si c’est pour avoir des hauts fonctionnaires qui, comme aujourd’hui, se font le relais des directions d’entreprise, cela ne sert à rien. Ce que nous voulons, c’est une mobilisation de tout l’appareil d’Etat.» Et de lister l’entrée au capital de l’Etat, la nationalisation, la préemption des lieux et outils de production mais aussi un moratoire sur les licenciements. «Il faut que le gouvernement prenne ses responsabilités s’il ne veut pas être le gouvernement de la désertification industrielle», complète Cédrick Laparlière, délégué de la Filpac, filière papier-carton.
«Narratif»
Le contraste entre les bonnes nouvelles dans l’industrie – qui existent – et les mauvaises – désormais bien plus nombreuses – est en tout cas saisissant. La mise en lumière différente également. Mardi, le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, s’était en effet rendu chez Toyota près de Valenciennes pour célébrer la cinq millionième voiture sortie de l’usine d’Onnaing. A quelques kilomètres d’ArcelorMittal Denain, où 24 emplois vont être supprimés.
Ce vendredi, c’est Damien Maudet, député LFI de Haute-Vienne, qui fustige : «Le Premier ministre arrive à Limoges aujourd’hui pour aborder l’industrie et l’emploi. Legrand et Valeo sont concernés par des fermetures d’emplois dans le secteur. Aucune visite n’est prévue. Ça ne doit pas coller au narratif.» Ni au mirage de la réindustrialisation qui, lui, est en train de s’effacer.