Ce sera 75 points de base. La Banque centrale européenne (BCE) cherche à frapper fort. A l’issue de la réunion du conseil des gouverneurs ce jeudi, elle annonce un relèvement de ses trois taux directeurs. Celui sur les dépôts bancaires passe ainsi de 0 à 0,75 %. Cette décision prise à l’unanimité intervient moins de deux mois après une première hausse de 50 points, qui a mis fin à onze années de taux négatifs et de politiques monétaires accommodantes, dites non conventionnelles.
Depuis sa création il y a plus de vingt ans, l’institution monétaire installée à Francfort en Allemagne n’avait jamais décidé d’une hausse des taux d’une telle ampleur. Elle n’avait jamais non plus été confrontée à de tels taux d’inflation dans la zone euro. Sa présidente, Christine Lagarde, avait prévenu en juillet que les prochaines décisions du conseil des gouverneurs dépendraient notamment des données disponibles à la rentrée. Les dernières statistiques publiées n’étaient pas de nature à inciter la BCE à la retenue. Les prix dans la zone euro poursuivent leur envolée : après une hausse de 8,6 % en juin, ils ont progressé de 8,9 % en juillet et de 9,1 % en août sur un an, battant un énième record. Loin, très loin, de la cible de la banque centrale, qui vise une inflation d’environ 2 % «à moyen terme». La chute de l’euro par rapport au dollar, passé en début de semaine sous le seuil de 0,99 dollar, a sans doute aussi pesé dans la décision puisqu’un euro faible renchérit le coût des importations et renforce l’inflation.
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Si elle espère ainsi casser l’inflation, la BCE se livre à un exercice de funambule. Non seulement, il n’est pas certain que ses décisions soient efficaces puisque l’inflation actuelle est essentiellement alimentée par la hausse des cours de l’énergie et donc importée ; mais elles pourraient également saper l’activité économique et plonger les Etats dans la récession. D’autant que le tour que prend la situation géopolitique avec la Russie, avec entre autres des craintes sur l’approvisionnement énergétique cet hiver, plombe les perspectives. L’Insee a par exemple revu à la baisse ses prévisions pour les deux derniers trimestres pour la France, publiant un scénario central avec une croissance du PIB en France de 0,2 % au troisième trimestre et de 0 % au quatrième trimestre… Le Commissaire européen à l’économie, Paolo Gentiloni a considéré pour sa part que «le risque de récession» augmentait dans l’Union européenne, en avertissant : «Nous pourrions bien nous diriger vers l’un des hivers les plus difficiles depuis des générations.»
Ce danger, la BCE est prête à l’encourir. C’est en tout cas ce que laissaient entendre les propos d’Isabel Schnabel, une des membres de son directoire, à Jackson Hole aux Etats-Unis, où s’est tenue fin août la grand-messe annuelle des banquiers centraux. Elle avait ainsi assuré que la lutte contre l’inflation était essentielle, «même au risque d’une croissance plus faible et d’un chômage plus élevé», prévenant que l’inaction pourrait avoir «des coûts considérables». Des déclarations qui faisaient écho au discours glaçant tenu également à Jackson Hole par Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale américaine (FED), qui, elle, s’apprête à relever pour la cinquième fois ses taux depuis le début de l’année : «Tandis que des taux d’intérêt plus élevés, une croissance plus lente et des conditions plus souples sur le marché du travail réduiront l’inflation, ils feront également souffrir les ménages et les entreprises. Il s’agit des coûts malheureux de la baisse de l’inflation. Mais un échec à restaurer la stabilité des prix signifierait une douleur bien plus grande.»
Toute historique qu’elle soit, cette hausse des taux directeurs ne sera pas la dernière, les taux réels (auxquels on retranche l’inflation) de la BCE restant encore en territoire négatif. Christine Lagarde n’a fait aucun mystère sur les prochaines étapes de ce «chemin de la normalisation» sans toutefois les décrire en détail : «Le conseil des gouverneurs a pris la décision d’aujourd’hui et s’attend à relever davantage les taux, parce que l’inflation reste bien trop élevée et va probablement rester au-dessus de la cible pendant une période étendue.» L’institution a aussi revu à la hausse ses prévisions d’évolution des prix. Elle s’attend dorénavant à une inflation en zone euro de 8,1% cette année, de 5,5% en 2023 et de 2,3% en 2024.
Mise à jour le 8 septembre à 15h30 : Ajout des propos de Christine Lagarde en conférence de presse