Menu
Libération
Budget

ISF, taxe d’habitation, subvention de l’enseignement privé… Les idées du Conseil d’analyse économique pour redresser les finances publiques

Dans une note détaillée publiée ce jeudi 16 octobre, sept économistes de l’organisme indépendant chargé de conseiller l’exécutif exposent un large éventail d’économies et de nouvelles recettes envisageables pour réduire le déficit.

Rétablir la taxe d’habitation sur les résidences principales «générerait 21,8 milliards d’euros de recettes à l’Etat». (Riccardo Milani/Hans Lucas. AFP)
Publié le 16/10/2025 à 15h57

La lecture de ce texte pourrait bien inspirer les parlementaires et les candidats, déclarés ou pas, à l’élection présidentielle. Ils se sont mis à sept économistes, membres du Conseil d’analyse économique (CAE), dont Xavier Jaravel, son président délégué, et Xavier Ragot, le président de l’Observatoire français des conjonctures économiques, pour rédiger une note publiée ce jeudi 16 octobre, qui se demande «comment stabiliser la dette publique» et, plus original, qui recense 170 mesures chiffrées à même de réduire le déficit.

La liste dressée par cet organisme chargé de conseiller le Premier ministre, mais qui se veut indépendant, «ne constitue pas une recommandation normative, mais un outil pour nourrir le débat public : il revient aux décideurs publics de choisir les mesures les plus adaptées, en fonction de leurs priorités économiques, sociales et politiques», prennent soin de préciser les auteurs.

C’est de saison, puisque le débat parlementaire sur les projets de loi de finances (PLF) et de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l’an prochain, va enfin commencer. Ces textes ont été adoptés en conseil des ministres mardi 14 octobre et proposent de ramener le déficit public de 5,4 % du produit intérieur brut (PIB) espérés cette année à 4,7 % l’an prochain. Le Premier ministre a toutefois indiqué, dès sa déclaration de politique générale le même jour, viser un déficit «sous les 5 au terme des discussions parlementaires.

Combien de milliards faut-il trouver ?

Alors que la dette publique ne cesse de progresser, passant de 109,8 % du PIB en 2023, à 113,2 % en 2024 puis 116,2 % cette année, les économistes chiffrent l’effort d’ajustement à environ 112 milliards d’euros afin de pouvoir non seulement stabiliser la dette, mais aussi garder de la marge pour se prémunir contre une prochaine crise économique. «Tant que cet ajustement ne sera pas opéré, le ratio de dette publique sur PIB et la charge d’intérêt continueront d’augmenter», écrivent-ils, en estimant que les conclusions de la dernière note du CAE sur le sujet, à l’été 2024, restaient valables, même si, entre-temps, le déficit a été un peu résorbé et le taux d’emprunt à dix ans de la France a augmenté (à 3,5 %), et avec lui, les charges d’intérêt.

En prenant en compte l’évolution tendancielle des dépenses (le vieillissement de la population, par exemple, entraîne mécaniquement une augmentation des dépenses de santé et de retraites) et des prélèvements sur une période de six ans (le scénario du CAE), cela rajoute 6 milliards d’efforts chaque année (de l’ordre de 0,2 point de PIB), pour atteindre un effort total de 148 milliards d’euros.

A quel rythme rétablir les comptes ?

Le CAE retient, comme scénario central, afin de ne jamais dépasser une dette de 130 %, une consolidation en six ans. Cela permettrait de rester dans les clous des règles budgétaires européennes, la France s’étant engagée auprès de la commission européenne à revenir sous les 3 % de déficit en 2029. Il préconise un effort initial de «0,9 % du PIB, soit 27 milliards en 2026». Une hypothèse déjà périmée, puisque l’effort proposé par le gouvernement Lecornu dans les projets de loi est un peu moins élevé (0,8 point sur un périmètre comparable).

Cette proposition d’un effort plus important au début de la phase de consolidation est la solution la plus optimale, selon le CAE, dans l’arbitrage entre l’aspect récessif de l’austérité et «les bénéfices attendus d’un assainissement plus rapide» des finances publiques qui stabiliserait la dette et diminuerait ainsi la facture des intérêts.

Comment faire ?

C’est la grande question. Dans sa liste à la Prévert de mesures, certaines consensuelles, d’autres potentiellement explosives, certaines associées à la politique économique menée par la droite, d’autres à celle de la gauche, le CAE identifie 108 milliards d’euros à récupérer sur les dépenses d’ici à 2030, 111 milliards en recettes et 45 milliards via des réformes structurelles. Mais son analyse des mesures n’est pas tout à fait complète, comme il le précise : «Les effets redistributifs, macroéconomiques ou sur la compétitivité ne sont pas analysés», or «ces dimensions, qui peuvent sensiblement influer sur l’appréciation de chaque levier, mériteraient des analyses complémentaires».

Xavier Ragot explique ainsi que la démarche des économistes auteurs de la note, «c’est d’assumer avec un angle plutôt comptable toutes les analyses que nous avons jugées sérieuses dans la littérature pour montrer les ordres de grandeur de réformes concrètes, ce qui manque aujourd’hui dans le débat public. Chacun peut commencer à faire son programme idéal, les taux de certaines mesures peuvent être baissés ou augmentés, ce qui modifiera le rendement. Cette première recension sera amenée à évoluer au fil des mois.»

Quelles économies dans les dépenses ?

Parmi les 108 milliards d’euros de mesures recensées, certaines apparaissent déjà dans le projet de budget présenté par Sébastien Lecornu. Pas nécessairement avec les mêmes montants d’économies associés, comme le gel de l’indexation sur l’inflation de toutes les prestations sociales (1,3 milliard dans la note du CAE contre 1,1 milliard dans le plan du gouvernement), celui des retraites, ou les modifications des critères d’octroi du soutien public à la rénovation énergétique des logements par MaPrimeRénov (900 millions d’euros dans la note du CAE).

D’autres agitent le débat public depuis longtemps, comme le resserrement des aides à l’apprentissage (600 millions d’euros dans la note, où il est tout de même rappelé qu’une réforme plus ambitieuse pourrait générer autour de 6 milliards d’euros), la suppression de 30 000 postes dans la fonction publique d’Etat et dans la fonction publique territoriale ferait économiser 700 millions par an, tandis que le passage à un délai de carence de trois jours pour les arrêts maladies se chiffrerait à 300 millions d’euros (sans tenir compte d’une évolution possible des comportements). L’augmentation par les complémentaires santé de la prise en charge et la participation financière des assurés sont chiffrées à 5,5 milliards d’euros.

Une mesure retient l’attention puisqu’elle surgit moins fréquemment dans les discussions : faire passer les subventions publiques à l’enseignement privé de 75 % à 50 % du budget des établissements scolaires, avec 3,5 milliards d’euros d’économies à la clé.

Quelles hausses de recettes ?

La liste dressée totalise 111 milliards d’euros de recettes possibles. Plusieurs d’entre elles au rendement élevé «pèseraient davantage sur les ménages modestes et les classes moyennes à proportion de leurs capacités contributives». C’est le cas du relèvement d’un point du taux normal de TVA (6 milliards d’euros) ou la hausse d’un point par tranche du taux d’impôt sur le revenu (6,8 milliards d’euros une fois les effets comportementaux pris en compte) ou encore d’un point de la CSG (14,6 milliards).

Déboulonner plusieurs totems de la présidence Macron, marquée par de nombreuses baisses d’impôts, rapporterait également beaucoup. Ainsi, rétablir la taxe d’habitation sur les résidences principales, qui a fini par disparaître pour toutes les catégories de ménages, «générerait 21,8 milliards d’euros de recettes à l’Etat (exonérations et dégrèvements compris), qui ne compenserait plus sa suppression aux collectivités locales». Et relever le taux d’impôt sur les sociétés de 25 % à 33,5 % correspondrait à 4,4 milliards d’euros de recettes supplémentaires.

La note repère également «d’autres instruments […] davantage redistributifs» qui agitent les débats parlementaires chaque automne : l’augmentation de 3 points du taux de prélèvement forfaitaire unique (la «flat tax» sur les revenus mobiliers) permettrait d’engranger 1,2 milliard d’euros, la suppression du «pacte Dutreil», dispositif qui ouvre le droit à un abattement de 75 % sur la valeur des titres lors de la transmission d’une entreprise (2 milliards d’euros), ou encore la suppression des niches fiscales des revenus du capital (assurance-vie, épargne logement) pour 900 millions d’euros.

La taxe Zucman, que le parti socialiste s’apprête à proposer par amendement dans le PLF et à laquelle Xavier Jaravel, le président du CAE, s’est publiquement opposé, est bien mentionnée dans la note, mais pas dans le tableau de synthèse des mesures. Le CAE lui préfère un rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF) selon les mêmes modalités qu’avant sa suppression, pour 5 milliards d’euros, alors que la littérature montre que cet impôt finissait, à force d’exemptions, par manquer sa cible. «S’agissant de la proposition d’un impôt de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros [la taxe Zucman, ndlr], biens professionnels compris, son caractère inédit rend tout chiffrage particulièrement incertain», explique la note.

Les auteurs citent «un rendement mécanique d’environ 18,26 milliards» et la difficile évaluation de la réponse comportementale des contribuables, comme l’exil fiscal. Et mentionnent un «rendement effectif d’environ 4,75 milliards d’euros» -chiffrage qui est retenu dans les annexes- tout en ajoutant que «cette transposition demeure toutefois incertaine»«Compte tenu de ces contraintes, nous faisons apparaître en synthèse la mesure consistant en un retour de l’ISF, dont l’application est juridiquement plus certaine, tout en gardant à l’esprit que ce levier [la taxe Zucman], bien qu’important, ne résout pas à lui seul les besoins de financement», concluent les auteurs.

La lutte contre la fraude, une mine d’or ?

Le rappel des estimations de lutte contre les fraudes permet aussi de relativiser certains grands discours politiques, notamment à l’extrême droite sur ce sujet. La fraude sociale est évaluée entre 13 et 16 milliards d’euros – une fraude qui, comme le rappelait en le Haut Conseil au financement de la protection sociale en 2024, est majoritairement du fait des entreprises, via notamment des cotisations non versées. La fraude fiscale représente quant à elle entre 14 et 52 milliards d’euros par an. «Dans un scénario raisonnable d’amélioration des taux de détection, les gains annuels pourraient atteindre autour de 4,2 milliards d’euros, soit un ordre de grandeur non négligeable mais qui reste limité par rapport aux besoins globaux de consolidation», écrivent les économistes.

Quelles réformes structurelles ?

Plusieurs réformes structurelles sont aussi répertoriées. Sans détailler les moyens pour y parvenir, la réduction du taux de chômage de 0,4 point par an sur cinq ans rapporterait 15,1 milliards d’euros d’ici à 2030. Le CAE calcule aussi les effets d’un relèvement de l’âge d’ouverture des droits à la retraite à 65 ans pour les générations 1964 à 1968. Cela générerait 17,7 milliards d’euros d’économies à l’horizon 2035. Pas tout à fait dans l’air du temps, alors que Sébastien Lecornu vient d’annoncer la suspension de la réforme des retraites.

Mise à jour à 19h: précisions sur la présence de la taxe Zucman dans les annexes et sur l’ampleur de l’ajustement la première année.