Inutile de chercher un luxueux siège parisien à la mesure des 5 milliards d’euros de chiffre d’affaires du groupe. A 75 ans, Jean-Paul Bigard partage son temps entre le siège social de Quimperlé et des locaux spartiates au cœur du marché de gros de Rungis, où le champion de la viande a installé une de ses filiales. «Le reste du temps, il est sur les sites industriels et quand il arrive il ne se contente pas de rester dans les bureaux, il chausse les bottes et va dans les ateliers de découpe», décrit un cadre.
«Quand il prononce dix mots, il y en a neuf qui sont utiles»
Si l’on en croit ses visiteurs, il passe une partie de ses week-ends à lire les comptes hebdomadaires de ses abattoirs. «Si vous recevez un coup de fil le lundi matin ça signifie qu’il y a un truc qui ne va pas, détaille un syndicaliste agricole qui l’a beaucoup pratiqué. Bigard est un taiseux. Quand il prononce dix mots, il y en a neuf qui sont utiles.» Bientôt un demi-siècle que Jean-Paul Bigard dirige le groupe créé par son père Lucien, ancien boucher des Halles de Paris, qui a commencé par racheter l’entreprise dans laquelle il travaillait, la Socovia, basée à Quimperlé (Finistère). L’entreprise a prospéré à coups d’acquisitions, comme Charal en 2007 et la Socopa en 2009. Le siège n’a jamais bougé.
Enquête
Au Salon de l’agriculture, comme chaque année, Bigard ne s’affiche pas sur un stand. Ce serait contraire à sa culture du secret. Jean-Paul a ses habitudes : il reçoit à l’intérieur du vaste espace de l’Interprofession du bétail et de la viande, Interbev. Un lieu à l’abri des regards, dont l’entrée est surveillée en permanence par des agents de sécurité. Pas un élu, pas un ministre ne passe au Salon sans s’y arrêter. Gabriel Attal et son ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, y ont fait une visite. Le président du Sénat, Gérard Larcher, est même resté pour le déjeuner. S’il est discret, Jean-Paul Bigard n’en est pas moins présent dans les cercles d’influence. Il a participé à l’élaboration de la loi Egalim. Le patriarche continue à assumer pleinement ses fonctions de président du directoire. «Vous pouvez l’appeler sans problème à 5 heures du matin», détaille un cadre.
La troisième génération est déjà aux affaires
Sa succession semble assurée, d’autant qu’elle devrait se passer en famille. La troisième génération Bigard est déjà aux affaires. Les deux fils de Jean-Paul, Mathieu et Maxence, occupent des fonctions de direction. Le plus visible, Maxence, est en charge des relations extérieures et de l’export. Cette exposition, pas vraiment conforme à la culture maison, lui a d’ailleurs joué des tours. En septembre 2017, auditionné par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, il peine face au député Modem Richard Ramos et son collègue LFI François Ruffin. Les deux parlementaires lui demandent pourquoi le groupe ne publie pas ses comptes. Sourire aux coins des lèvres, Maxence Bigard se contente de rétorquer, laconique : «Nous achetons 25 000 bovins par semaine… que nous payons toutes les semaines.» Ce qui fait bondir François Ruffin : «On est dans le Parrain ou dans une commission de l’Assemblée nationale ?» L’absence de transparence n’attend pas le nombre des années.