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Libération
Reportage

Jeux olympiques de Paris 2024 : casque de réalité virtuelle, «sport dating» ou escape game, tout est bon pour recruter

JO Paris 2024dossier
Le Cojo organisait mardi 26 septembre une séance de recrutement géante au cœur du futur village olympique, quelque 16 000 postes sont à pourvoir. Malgré une façade alléchante, les demandeurs d’emploi étaient parfois déçus des offres proposées.
Le recrutement organisé à Saint-Denis en amont des JO, mardi 26 septembre. (Cha Gonzalez/Libération)
publié le 27 septembre 2023 à 10h06

Dans dix mois, ce sera la cantine des athlètes. Mais pour l’instant, le grand hall de la cité du cinéma de Saint-Denis grouille de CV et d’annonces d’emplois. Par dizaines, centaines, voire milliers. Entre les entreprises, l’ambiance est à la surenchère. Une cadre d’une boîte de sécurité voulait même marquer «Recrute à l’infini» sur sa pancarte mais l’organisation lui a demandé de mettre un chiffre, rond si possible. Alors elle a opté pour 1 000. Hôtellerie-restauration, nettoyage, événementiel, transport, sécurité… Quelque 16 000 postes sont à pourvoir en marge des JO 2024. La plupart le sont dans des secteurs qui peinent déjà à embaucher en temps normal et qui vont se retrouver plus encore en tension dans les prochains mois.

«On a l’impression de sortir des cases à remplir»

Pour cette séance de recrutement géante organisée par le Cojo, les entretiens se font à la chaîne. Les postulants, souvent des habitants du coin rameutés par Pôle Emploi ou des missions locales, sautent de stand en stand. D’autres testent des méthodes inédites. En quelques minutes sur des bornes d’arcades, on propose de trouver sa vocation professionnelle en incarnant un petit personnage en mission dans l’espace confronté à des galères à la pelle. Juste à côté, on peut se retrouver un casque de réalité virtuelle sur les yeux à s’entraîner à prendre la parole en public – en l’occurrence face à des avatars. On peut évaluer ses «soft skills» en jouant à la Switch, ou même participer à un escape game de l’emploi à l’issue duquel «Mister Jobb» nous transmet un message sur notre avenir.

Dans une grande salle, un peu éloignée du brouhaha, une quarantaine de personnes jouent au rugby, se font des passes, s’entraînent aux portés sur les touches. L’ambiance est décontractée, tout le monde est en tenue de sport. Tous les participants sont pourtant des employeurs ou des personnes à la recherche d’emploi. «L’idée est de faire d’abord du sport ensemble, sans savoir qui est qui. Puis seulement après de révéler qui sont les employeurs. Ça permet de dépasser certains préjugés et ça révèle les personnalités de chacun», explique Vincent, chargé de gérer l’animation du jour. Le concept a un nom : le «sport dating». Et semble marcher : impossible de savoir qui cherche un travail et qui recrute.

Libé s’est d’ailleurs fait avoir par deux types, en jogging de foot, racontant longuement qu’ils recherchaient un emploi alors qu’ils étaient en réalité chargés de recruter pour la RATP. «Tout le monde est plus décontracté, on a l’impression de sortir des cases à remplir, des phrases toutes faites à placer pour vendre ses atouts», raconte enthousiaste Dado, habitante de Saint-Denis de 44 ans qui cherche à travailler dans la restauration.

«Quand tu creuses un peu, on propose surtout des contrats courts et précaires»

A l’abri des regards du grand public, dans un auditorium où les journalistes ont été conviés, politiques, cadres d’entreprises et d’institutions défilent au pupitre. Le président du Cojo, Tony Estanguet, et la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, sont de la partie. Il est question des 181 000 personnes qui auront, d’ici un an, été amenées à travailler de près ou de loin sur les Jeux – d’après le cartographie des emplois faite par le Centre de droits et d’économie du sport et le cabinet Amnyos. Alors que les Français peinent à être convaincus par ces JO (trop chers, pas assez écolos…), on parle de l’impossibilité du faux pas et de la volonté que les Jeux aient un impact positif bien après les épreuves sportives. Et des milliers de «talents», terme répété à tort et à travers pour qui travailler sur les Jeux sera une «opportunité unique» – mais qu’il faut encore recruter.

«Je ne vois pas de quels talents ils parlent. Tout est beau, super bien présenté, il y a des noms de grandes boîtes. Mais quand tu creuses un peu, on propose surtout des contrats dans la manutention, courts et précaires», s’agace Kenza, juriste de 28 ans, venue pour accompagner sa sœur qui cherche un emploi après avoir discuté avec une entreprise qui ne proposait que des contrats de quelques semaines autour des Jeux. Une femme, la trentaine, ressort d’un entretien express déçue : «On ne m’a parlé que de CDD de deux mois, en restauration, pendant les Jeux.»

Paris 2024 n’est pas au cœur des préoccupations des «talents». Beaucoup flânent entre les entreprises, contents de pouvoir se présenter à des employeurs, et certains sont prêts à accepter n’importe quel emploi, sans distinction de secteur ou de durée. Comme Lyse-Dominique, 22 ans, qui piétine dans une longue file d’attente : «Ménage, logistique, restauration… je cherche un peu de tout. Et puis, si jamais l’occasion se présente de découvrir un stade, de partager certaines cultures, ça serait génial.»