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La Banque centrale européenne a couvert les banques commerciales de cadeaux… sur le dos des contribuables européens

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La BCE a multiplié ces dernières années les aides aux banques commerciales. Au bénéfice de leurs actionnaires, mais au prix de pertes, financées in fine par les contribuables.
publié le 13 septembre 2024 à 11h27

La Banque centrale européenne (BCE) a fait jeudi 12 septembre aux banques commerciales un cadeau de taille : le taux auquel elles empruntent auprès de l’institution (Refi) et les taux auxquels l’institution leur prête (taux des dépôts) sera quasiment aligné : seulement 0,15 point d’écart. Concrètement, ceci signifie que dorénavant, la Société générale, la BNP ou la Deutsche Bank pourront emprunter à 3,65 % auprès de la BCE et lui prêter avec des intérêts à 3,50 %. Alors que précédemment, l’écart entre les deux taux était de plus de trois fois supérieur : 0,50 point entre les deux. Et l’écart était d’un point dans les années 2000. Sur ce point, la BCE n’a jamais autant favorisé les banques.

Ce qui pourrait dans certains cas permettre à leurs clients d’emprunter à moindre coût, mais contribuera d’abord aux bénéfices des institutions financières privées au détriment des contribuables européens. Il ne s’agit pas, tant s’en faut, du premier cadeau de l’institution européenne aux banques commerciales : les précédents étaient déjà conséquents. Pendant la crise du Covid, la BCE a mis en place des facilités de prêts à long terme pour les banques, et leur a fourni plus de 3 000 milliards d’euros à long terme (programme TLTRO) gratuitement, voire à taux négatif. Ainsi la BCE donnait l’argent aux banques emprunteuses. Deux ans plus tard, dans un contexte d’augmentation de ses taux à vitesse record, la BCE propulsait son taux de rémunération des dépôts à 4 %, du jamais vu depuis les débuts de l’Euro. Ce qui signifie que les banques ont pu déposer sans aucun risque financier des capitaux qu’elles avaient parfois empruntés gratuitement, et percevoir dessus 4 % d’intérêts. Au total, indiquait en janvier dernier le groupe d’experts Positive Money Europe, le total des dépôts des banques au guichet des banques centrales s’élevait à 3 700 milliards, ce qui a permis aux banques d’engranger «146 milliards d’euros de bénéfices sans risques» versés par la BCE en 2023. Cette même année, les actionnaires des banques commerciales européennes ont perçu quelque 120 milliards d’euros de dividendes.

Mais arroser les actionnaires des banques commerciales a eu un coût… Qui a dû être financé par les banques centrales nationales (Banque de France, Bundesbank, Banca d’Italia…), qui ont toutes enregistré en 2023 des pertes records. Dans le cas de la banque de France, le déficit s’est élevé à 12,4 milliards d’euros… Epongés par les provisions permises par les bénéfices passés. Mais le manque à gagner pour le contribuable français est élevé. De 2010 à 2022, la Banque de France a versé en moyenne 4 milliards par an à l’Etat français, dividende et impôts sur les sociétés confondus. En 2023, ce chiffre est tombé à zéro. Il est probable qu’il en soit de même pour les années suivantes, car même si l’institution, par extraordinaire, refaisait des bénéfices, ils seraient préalablement utilisés pour reconstituer des réserves.

En cas de déficits répétés, les Etats pourraient même se voir dans l’obligation de combler les pertes de leur banque centrale. Même si, indique l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran, les banques centrales, selon les recommandations de la Banque des règlements internationaux (BRI), «peuvent fonctionner à fonds propres négatifs» et «n’ont pas vocation à faire des bénéfices», leur objectif étant «la stabilité monétaire et financière, et non la maximisation du profit». Ce qui interroge l’économiste est en revanche la légitimité qu’a une banque centrale de subventionner sans contrepartie des banques commerciales à hauteur de plus de 146 milliards d’euros qui finiront dans les poches des actionnaires.

Selon elle, si pertes il y a, «elles doivent être réalisées au nom d’un objectif de bien de bien commun. Les 146 milliards de charges d’intérêts seraient mieux employés à soutenir l’investissement public, la rénovation thermique, le Pacte vert». Les fonds pourraient transiter par une «société financière publique axée sur le développement durable» qui aurait pour mission «d’allouer des subventions à des projets, privés ou publics à impact mais non rentables financièrement».