L’histoire de la galaxie Mulliez démarre en 1943, lorsque Gérard Mulliez crée un magasin de laine à Poitiers, «les Textiles d’art» renommé «Au fil d’art». C’est le début d’une chaîne qui prend le nom de Phildar. Mais c’est son fils, encore un Gérard, qui lance l’affaire familiale à une bien plus grande échelle, en ouvrant en juillet 1961, à l’âge de 29 ans, le premier supermarché à «l’américaine», sur le site d’une ancienne usine Phildar du quartier des Hauts-Champs à Roubaix. Auchan est né. Mais aussi un système de capitalisme familial unique en son genre, où les ribambelles d’enfants et de cousins sont encouragées à créer chacun leur propre business, dans le cadre de l’AFM (Association familiale Mulliez), créée en 1955, ni holding ni société mais tête de pont de l’empire. Au faîte, l’inventeur d’Auchan, 93 ans aujourd’hui, bon pied bon œil.

Un des principes majeurs de l’AMF est que le capital doit «être accessible au plus grand nombre» des membres de la famille. Chacun a pris des parts dans cette association et investit dans les sociétés créées par la famille. Celles-ci se multiplient dans les années 70. Après Auchan, vient Decathlon, créée par le cousin de Gérard en 1976, puis les Mulliez créent ou rachètent une multitude d’enseignes – 130 aujourd’hui – qui couvrent tous les domaines de la vie. La réparation de voitures avec Norauto, la restauration avec Flunch, le bricolage avec Leroy Merlin, l’électroménager avec Boulanger au début des années 80. Pas question de se coter en Bourse. Les cousins actionnaires verrouillent le capital, qu’ils appellent le «tous dans le tout». Pour être associé, il faut être issu de la famille, être âgé de plus de 21 ans et en faire la demande auprès du conseil de gérance. Fin 2023, 852 membres de l’AMF sur 1 550 héritiers l’étaient. Ils se réunissent deux fois par an pour les décisions stratégiques, avec une messe en prime.

L’empire Mulliez s’est étendu au-delà des frontières françaises, en s’implantant principalement en Europe de l’est et en Russie mais aussi en Asie. Dès 2002, Gérard Mulliez avait propulsé Auchan en Russie. En mars 2022, Auchan y comptabilisait 33 000 salariés. La plupart des groupes occidentaux ont quitté le pays après l’attaque contre l’Ukraine, dont Decathlon, mais ni Auchan ni Leroy Merlin, qui poursuivent leurs activités sur place. Sous le tollé, la famille a cependant décidé de céder les murs de leurs magasins. Autre polémique, le choix de la famille d’habiter à Néchin, en Belgique, où il y a une rue surnommée «la rue des Mulliez», pour profiter des avantages fiscaux. Leur maxime, souvent citée : «Pour vivre heureux, vivons cachés.»

Aujourd’hui, la famille totalise 640 000 salariés répartis dans 8 000 points de vente à travers le monde pour un chiffre d’affaires cumulé de plus de 90 milliards d’euros fin 2023, dont 32,9 milliards pour Auchan qui enregistre cependant un déficit de 378 millions d’euros. Faute de données financières publiques, l’estimation de la fortune de la famille Mulliez est difficile mais le classement Challenges 2023 la place en huitième position en France, à 20 milliards d’euros. Une prouesse qui avait amené le journaliste Bertrand Gobin, auteur de deux livres sur les Mulliez, à les qualifier de «serial entrepreneurs».