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Libération
Neutralité carbone

La loi de souveraineté énergétique ne passera pas par le Parlement

Bercy a confirmé le 11 avril que l’avenir énergétique du pays jusqu’en 2035 sera décidé par décret. Un choix du gouvernement dicté par la volonté de s’éviter des votes périlleux à l’Assemblée nationale et au Sénat, où le consensus serait difficile à trouver.
Bruno Le Maire et le ministre délégué à l'Industrie et à l'Energie, Roland Lescure, visitent le parc photovoltaïque de La Fito à Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), le 5 avril. (Christophe Simon/AFP)
publié le 11 avril 2024 à 20h31

La loi de souveraineté énergétique n’aura pas lieu. Enfin… sous sa forme attendue. Promis par Emmanuel Macron à Belfort en 2022, ce grand texte censé graver dans le marbre les objectifs de la France en matière d’énergies risquait de tanguer à l’Assemblée, faute de majorité suffisante : droite et extrême droite étant pronucléaires mais anti-éoliennes, la gauche (hors communistes) militant pour l’inverse. L’exécutif a donc décidé que sa principale feuille de route en la matière, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dont le retard d’adoption est pointé par le Haut Conseil sur le climat, sera adoptée tout simplement par… décret. Le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, l’a confirmé jeudi au Figaro. Une manœuvre permettant à l’exécutif d’éviter le Parlement et donc des votes périlleux. Les parlementaires ne seront sollicités que pour une loi sur la protection des consommateurs vis-à-vis des fournisseurs d’électricité. En revanche, histoire de montrer qu’il consulte les citoyens, le gouvernement va organiser cet été une consultation publique sur la PPE, comme l’avait déjà annoncé Gabriel Attal.

Concrètement, la PPE prévoit une nette augmentation des énergies renouvelables et du nucléaire d’ici à 2035 – pour sortir des «guerres de religions», dixit Lescure – afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Dans le détail, elle prévoit de passer d’une production actuelle de 450 térawattheures (TWh) d’électricité bas carbone à 650 TWh, dont 400 TWh de nucléaire, dont la production n’augmentera vraiment qu’après 2035, lorsque seront construits les futurs réacteurs décidés par Emmanuel Macron. La PPE prévoit ainsi de multiplier par cinq la production d’électricité solaire pour atteindre 100 GWh de capacité installée et 93 TWh de production, de multiplier par deux l’éolien terrestre, soit 40-45 GW de capacité, et de porter la production d’éolien offshore à 45 GWh d’ici à 2050 contre seulement 1 GWh actuellement. «Cela implique la construction de 1 000 mâts dans nos eaux», précise Roland Lescure au Figaro.

Deux à trois mois de consultations

Mais le gouvernement sait bien que sur le terrain, dans de nombreux cas, ces installations supplémentaires, qu’ils s’agissent d’éoliennes terrestres ou en mer, de panneaux solaires ou d’usines de méthanisation de déchets, risquent de susciter des oppositions. «Nous voulons être ambitieux et efficaces, même si cela ne va pas toujours faire plaisir aux voisins, résume le ministre. Nous allons saisir la Commission nationale du débat public par courrier cette semaine pour accompagner cette concertation. Elle durera deux à trois mois», avec pour objectif un décret d’application de la PPE avant la fin de l’année. La consultation publique, en physique ou en ligne, ne portera pas sur le niveau des objectifs mais seulement sur les moyens d’y parvenir. «Sur l’éolien terrestre, par exemple, le doublement des capacités de production se fait-il en doublant le nombre de mâts ou en doublant la puissance des mats installés ? Comment s’assurer que les régions où il n’y a pas d’éoliennes contribuent à l’effort collectif ? Alors que dans certaines, ce n’est pas le vent qui manque mais la volonté d’y aller.» Idem pour les panneaux solaires : faudra-t-il les installer plutôt sur les toits ? Dans les champs ? Sur les abords des autoroutes ? Et pour multiplier par cinq la production de biogaz – ce que prévoit la PPE – vaut-il mieux multiplier les petits méthaniseurs ou privilégier de grandes unités ? A la PPE s’ajoute le pacte solaire annoncé la semaine dernière, qui prévoit aussi une filière de production nationale de panneaux photovoltaïques d’une capacité de 10 à 15 GWh.

Faire passer une «loi cathédrale» sur l’ensemble des sujets énergétiques était «difficile», reconnaît Roland Lescure. La seule loi prévue sera donc centrée sur la protection des consommateurs. «Je ne veux pas jeter l’opprobre sur toute une profession, mais il faut de la transparence sur les factures de gaz et d’électricité, sur les règes d’indexation et une bonne information sur les règles de résiliation des contrats», précise le ministre. «Ne craignez-vous pas que le Parlement désapprouve ne pas être consulté sur le mix énergétique et la part du nucléaire ?» a demandé un journaliste au cabinet du ministre. Réponse : «Ce n’est pas nous de nous prononcer.»

Objectif de 47 % d’énergies renouvelables

En répartissant ses efforts entre nucléaire et renouvelables, la France est-elle dans les clous des objectifs de l’UE ? L’an dernier, les Etats membres de l’UE et les eurodéputés sont tombés d’accord sur un délicat compromis : l’objectif est de quasiment doubler la part des renouvelables dans le mix énergétique européen d’ici à 2030, de 22 % actuellement à 42,5 %, en prenant en compte le nucléaire, jugé «ni vert ni fossile», comme source de production d’hydrogène bas carbone. Contrairement à l‘UE, la France se refuse à afficher des objectifs en pourcentage des énergies renouvelables, mais seulement en capacités installées et en production. Argument avancé par Paris : l’utilisation indirecte de certaines énergies pour en produire d’autres, comme l’utilisation d’électricité nucléaire pour fabriquer de l’hydrogène. «Mais sur l’objectif pour 2035, nous serons au-delà des 50 % d’énergie décarbonée dans notre mix énergétique, fait valoir le cabinet du ministre. Ce qui, en termes de résultat, est bien plus que les 47 % d’énergies renouvelables prévus par l’UE.» La bataille de chiffres ne fait donc que commencer.