Une fois n’est pas coutume, on ne pourra pas reprocher à la classe politique de ne pas s’être affrontée sur le fond. Ce mardi 24 juin, la proposition de loi Gremillet, portant sur le futur énergétique de la France, était soumise à un vote solennel. Cette version du texte est issue d’une âpre bataille, avec comme point d’orgue «un moratoire sur le développement de nouvelles installations de production d’électricité utilisant l’énergie photovoltaïque et éolienne», intégré par un amendement de Jérôme Nury (LR) sur des bancs quasi vides.
Pendant quatre jours, le secteur des énergies renouvelables (ENR), des ONG, représentants d’agriculteurs et élus ont fustigé cette disposition. Ce mardi, la gauche et le «socle gouvernemental» ont donc voté contre alors que LR s’est abstenu et que seuls le Rassemblement national et ses alliés ciottistes se sont prononcés, en bloc, en sa faveur. Résultat : le texte, ainsi rejeté, avec 142 voix pour et 377 contre, revient à la case départ sénatoriale possiblement vidé de tous les amendements adoptés la semaine dernière au Palais-Bourbon. Et les énergies renouvelables sont, pour l’instant, sauvées.
«Caricatures»
Les explications de vote ont permis de fixer les lignes de chacun. Si la part de nucléaire dans le mix énergétique était régulièrement au centre des débats, c’est bien le moratoire anti-ENR qui a été la goutte d’eau. «Il faut appeler les choses par leur nom : cette proposition de loi Gremillet, déjà déséquilibrée et calibrée pour le tout-nucléaire, a été transformée [à l’Assemblée] en véritable manifeste climatosceptique, a asséné l’écologiste Julie Laernoes. Stopper les renouvelables, c’est relancer les fossiles, précipiter le chaos climatique, faire flamber les factures et menacer directement 80 000 emplois en France. Ce moratoire est une folie.»
«Les débats, les amendements contradictoires adoptés, les logiques dogmatiques et les alliances de circonstance ont vidé cette proposition de sa cohérence, a de son côté résumé Jean-Luc Fugit (EPR). Le texte sorti de nos débats multiplie les caricatures. […] Et nous sommes allés encore plus loin dans l’absurde avec le moratoire sur le développement de l’éolien et le photovoltaïque. Cette mesure est un non-sens industriel, économique, écologique et stratégique.»
Analyse
La gauche a également critiqué la macronie, notamment le rapporteur du texte, Antoine Armand, pour avoir, une nouvelle fois, préféré regarder sur sa droite. «Vous vous êtes laissé emporter dans une coalition trumpiste allant de Horizons au RN, qui a déroulé un agenda simple : supprimer toute référence aux ENR et faire du nucléaire le seul vecteur de notre stratégie énergétique», a par exemple estimé Karim Benbrahim (PS).
A trop tirer la corde vers ses lubies énergétiques, le RN s’est finalement retrouvé seul défenseur du texte et voit ses maigres contributions potentiellement disparaître dans la navette parlementaire. «Vous votez contre votre propre loi […] uniquement car vous refusez que l’on remplace les éoliennes et les panneaux solaires par d’autres formes d’énergies moins chères, plus efficaces et capables de fournir des emplois à des industries françaises et non chinoises», s’est emporté à l’encontre du socle gouvernemental Jean-Philippe Tanguy (RN), qui a également critiqué «la lâcheté de LR».
Amendements lunaires
Si l’épilogue du texte n’est toujours pas atteint, l’affaire a commencé il y a près de quatre ans. A partir de 2021, des réunions avec experts, des énergéticiens ou encore des élus ont eu lieu pour dresser les contours de la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3). Cette dernière a pour but de dresser les contours et fixer les objectifs d’installation d’ici à 2035 concernant la part de chaque ressource d’énergie, le volume de réduction de la consommation, la disparition progressive des énergies fossiles… Avec pas mal de retard, un premier projet du texte a été soumis à consultation à l’automne, dont la version modifiée a abouti à un texte publié en mars.
Décryptage
En parallèle, plusieurs partis politiques ont souhaité discuter de cette PPE 3 dans le cadre du Parlement, le RN menaçant même de censurer le gouvernement si jamais ce texte passait uniquement par décret. Afin d’accéder à cette demande, François Bayrou a souhaité s’appuyer sur la proposition de loi Gremillet.
En discussion depuis avril, en premier lieu au Sénat, elle en reprenait une partie des objectifs. Mais, arrivée au Palais-Bourbon, les députés ont chacun avancé leurs propres objectifs. Avec notamment plusieurs amendements lunaires, comme celui de Jean-Philippe Tanguy qui visait à relancer la centrale nucléaire de Fessenheim, fermée en 2020. Or, le démantèlement est en cours et trop avancé pour imaginer un retour en arrière, notamment aux yeux de l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Désormais, le texte repart au Sénat. Mais Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Energie, a d’ores et déjà prévenu : le gouvernement n’attendra pas la fin des débats parlementaires, qui pourraient se conclure à la rentrée, pour publier le décret de la PPE 3. Une annonce qui, comme la probable disparition du moratoire anti-ENR, réjouira un secteur de l’énergie bien trop bouleversé par l’agenda politique.