Menu
Libération
Réindustrialisation de guerre

La production de poudre des obus d’artillerie relocalisée en France, à Bergerac, d’ici deux ans

La guerre en Ukraine et l’urgence de reconstituer une filière souveraine de production d’artillerie en France poussent le ministère des Armées à relocaliser la production de poudre d’obus à Bergerac, en Dordogne. Pour ça, l’entreprise publique Eurenco investira 60 millions d’euros.
Des militaires ukrainiens tirent avec un canon automoteur français de calibre 155 mm/52 Caesar sur une ligne de front dans la région du Donbass, le 15 juin 2022. (Aris Messinis/AFP)
publié le 23 février 2023 à 9h03

La France veut relocaliser sa production de poudre à obus car les besoins se sont accrus avec la guerre en Ukraine et la nécessité de reconstituer la filière sur le territoire se fait urgente. «Nous avons décidé de relocaliser une capacité de production de poudre de gros calibre à Bergerac (Dordogne) sur un horizon assez court […] avec un objectif de 1 200 tonnes de poudre par an», a déclaré mercredi le ministre des Armées Sébastien Lecornu lors d’une conférence de presse. De nombreux pays fournissent des obus de 155 mm à l’Ukraine, vidant leurs stocks déjà maigres.

En France, le président Emmanuel Macron a appelé à entrer en «économie de guerre», poussant les industriels à produire davantage et plus vite, notamment les très demandés canons Caesar. «Il n’y a pas de scénario dans lequel on ne doit pas accélérer et sécuriser la production de munitions. C’est vrai parce que l’Ukraine va connaître des besoins importants dans les semaines et mois à venir ou pour recompléter les stocks des armées», a estimé le ministre des Armées.

Eurenco investit 60 millions d’euros

Le secrétaire général de l’Otan s’est lui-même inquiété la semaine dernière que l’Ukraine consomme des munitions à un rythme supérieur à la capacité de production des pays de l’Otan. Héritier de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), l’entreprise publique française Eurenco va donc investir 60 millions d’euros, dont 50 seront autofinancés, sur son site de Bergerac. L’industriel produit aujourd’hui cette poudre en Suède, et en achète auprès de fournisseurs italiens, allemands et suisses.

Si l’entreprise y réfléchissait depuis la pandémie, «l’élément déclencheur de l’investissement a été la consommation des stocks, pas seulement en France mais partout en Europe», selon le PDG d’Eurenco, Thierry Francou. L’export, qui constitue les deux-tiers du chiffre d’affaires d’Eurenco, «va être soutenu pendant les dix prochaines années. Aujourd’hui j’ai des commandes fermes jusqu’en 2027», affirme le PDG, notant que «ce qui permet d’entretenir une filière souveraine c’est l’export».

La nouvelle usine devrait ouvrir au premier semestre 2025. Les 1 200 tonnes de poudre propulsive permettront à Eurenco de fabriquer 500 000 charges modulaires, soit 95 000 «coups complets», a-t-il détaillé. Un «coup complet» est constitué d’un obus, fabriqué en France par Nexter, et de charges modulaires propulsives produites par Eurenco. En fonction de la distance à atteindre - 40 kilomètres pour un canon Caesar-, il faut jusqu’à six charges modulaires par obus tiré.

De son côté, le ministère des Armées va «enclencher des perspectives d’achat sur une base moyenne de 15 000 coups complets par an pour l’armée de Terre française» dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire (2024-2030), selon Sébastien Lecornu. En 2023, la France doit recevoir 10 000 obus de 155 mm, un volume à des années-lumière des consommations observées en Ukraine : les Russes tiraient jusqu’à 50 000 obus par jour en juillet, les Ukrainiens jusqu’à 6 000, selon une source militaire française.

De deux à huit canons Caesar produits par mois

Dans le cadre du chantier en cours de l’«économie de guerre», le ministre a par ailleurs annoncé avoir missionné l’inspectrice générale des armées Monique Legrand-Larroche pour évaluer les moyens d’accélérer la maintenance et la production des canons Caesar, succès à l’exportation et dont 49 exemplaires ont été ou vont être fournis à l’Ukraine. Son fabricant Nexter a déjà fait passer la production de deux à quatre canons par mois. Il doit passer à six Caesar chaque mois d’ici la fin de l’année et huit courant 2024, selon l’industriel.

L’ancien délégué général de l’armement (DGA) Laurent Collet-Billon a lui été chargé de «coordonner les activités industrielles pour augmenter les cadences de production» des obus de 155 mm et de missiles sol-air à courte portée Mistral, produits par MBDA. «C’est le segment où les besoins sont les plus importants», notamment en raison de cessions effectuées à l’Ukraine, selon le ministre.

Enfin, la production de Mistral était de 20 unités par mois en 2022. «Pour 2023, nous sommes déjà à 30 unités et l’objectif pour 2025 est de 40 unités par mois et il convient de fiabiliser tout cela» selon le ministre, qui souhaite par ailleurs voir le délai de production du missile Aster de plus longue portée passer de 40 à 18 mois.